Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le roi d'août

Le roi d'août

Titel: Le roi d'août Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Pagel
Vom Netzwerk:
piège et avoir conclu qu'il n'y en avait pas, Henri Clément et Louis ordonnèrent tout de même la charge.
    Ils firent ce jour-là, le 2 juillet 1214, plus de prisonniers et récoltèrent un butin plus important que n'en rapportait d'ordinaire toute une campagne. Louis, ravi et très fier de lui, soupçonnait toutefois que sa valeur n'était pas pour grand-chose dans la victoire. Un autre point noir assombrissait le tableau : durant la brève bataille, le maréchal Clément avait reçu un mauvais coup et l'on craignait pour sa vie – il devait d'ailleurs expirer quelques jours plus tard.
    Le prince envoya porter à son père cette triste nouvelle que compensait la fin de la menace occidentale contre le royaume.
    Jean avait galopé tout droit jusqu'à La Rochelle, d'où il ne semblait plus décidé à bouger. Il imaginait ses alliés d'ores et déjà en train de marcher sur Paris après avoir écrasé les troupes réduites du roi de France. Ne fut-ce que parce qu'il les avait conduites à se scinder, on ne pourrait rien lui reprocher : ce serait auréolé de gloire qu'il rentrerait en Angleterre. Il entreprit donc de tromper l'attente par les plaisirs de la table et de la chair, ne consentant à s'intéresser aux affaires politiques que lorsque d'aventure un messager arrivait en ville.
    Le maître d'œuvre de la coalition avait joué son rôle – peu importait qu'il l'eût mal joué. Il estimait que c'était désormais aux autres d'agir.
     
    La forêt. La nuit. L'été.
    Pas le mois d'août, Dieu merci, mais l'été tout de même – et les mêmes parfums, de terre, d'humus, d'humidité. La même lune à la clarté blême. Le même Philippe.
    La même peur.
    Mais sa masse d'armes à sa ceinture.
    Mais Isambour à son côté.
    — C'était il y a trente-cinq ans, dit-elle. Depuis, tu t'es battu sur mille champs de bataille, tu as affronté mille ennemis plus redoutables. En outre, ce n'est plus ton ennemie.
    Cela, il ne parvenait pas à le croire. Il l'admettait, car son épouse l'affirmait et il avait en elle une foi absolue – l'idée qu'elle avait peut-être élaboré en accord avec Lysamour une subtile vengeance tardive l'avait quitté aussi vite qu'elle lui était venue –, mais il ne pouvait allier le souvenir qu'il avait de la fille des rivières et le portrait qu'en faisait Isambour.
    La cabane se dressait toujours au bord du cours d'eau. Elle s'y dresserait jusqu'à ce que les arbres qui la composaient mourussent. La porte, abaissée, dévoilait la pièce du haut, le bahut, le banc, l'escabeau sur lequel brûlait une petite mèche dans un godet d'huile. L'escalier qui s'enfonçait.
    Philippe, immobile, s'obligeait à un effort de tous les instants pour se rappeler qu'il n'avait pas quatorze ans. Cette fois, il n'avait pas pris de bain forcé, la nuit était tiède, et pourtant il tremblait quand même. Une douleur sourde lui torturait l'estomac, une autre lui comprimait la gorge. Il n'avait nul besoin de porter la main à sa poitrine pour sentir battre son cœur.
    — Je ne pourrai pas, répéta-t-il une dixième fois.
    Seule source de réconfort, sur son bras, la main d'Isambour affermit sa prise.
    — Ensuite, nous serons heureux, dit la reine.
    Il ne lui répondit pas qu'auparavant, il avait une bataille à gagner : de cette victoire-là, au moins, il ne voulait pas douter.
    Il contemplait toujours la porte ouverte, figé hormis pour ses frémissements et les tics qui, ce soir-là, se déchaînaient sur son visage. Se fût-il agi du seuil de l'Enfer qu'il n'eût pas craint davantage de le franchir.
    — Allons, souffla son épouse. Tu n'as pas tremblé devant Richard Cœur-de-Lion ni devant Saladin. Tu ne vas pas trembler devant une simple femme.
    Sans lui lâcher le bras, elle avança d'un pas, si bien qu'il fut contraint de lui résister ou de la suivre. Il la suivit. Il ne pouvait échapper à l'épreuve, devrait l'affronter un jour ou l'autre, comme il eût dû l'affronter beaucoup plus tôt, et le moment était bien choisi : s'il réussissait, plus rien ni personne, jamais, ne lui résisterait. Il voulait subir l'épreuve. Pourtant, seul il ne se fût jamais décidé à entrer. Se laisser guider par Isambour lui donnait à tout le moins l'illusion de ne pas marcher volontairement au supplice.
    Elle dut presque le tirer pour lui faire emprunter les marches. L'odeur de vase, qui s'amplifiait au fur et à mesure qu'on descendait, semblait au roi une odeur de mort, de décomposition,

Weitere Kostenlose Bücher