Le roi d'août
mains.
— Je ne t'en veux de rien du tout, dit-il, ignorant la présence de l'Hospitalier. Je suis fier de t'avoir pour épouse et je promets de ne plus chercher à t'imposer quoi que ce soit. Je l'ai déjà dit ; j'aurais dû le faire. Si je ne m'abuse, tu viens encore de sauver le royaume.
— En tout cas d'y contribuer, approuva-t-elle, avant de baisser les yeux, hésitante. Je n'ai jamais rien demandé pour mes services, Philippe, j'estime qu'ils vont de soi, mais aujourd'hui, j'aimerais une récompense. Si tu me la refuses, je ne me fâcherai pas, je ne changerai rien à ma ligne de conduite, mais je veux que tu saches que je la désire ardemment.
Elle n'avait nul besoin de s'expliquer davantage. Au fil des semaines, elle avait fini par percer la cuirasse d'entêtement de son époux et par lui confier ce qu'elle désirait de lui. La solution qu'elle proposait à leur problème le révoltait littéralement – en particulier parce qu'il la jugeait excellente et se savait condamné à l'adopter un jour ou l'autre. Mais un jour aussi éloigné que possible, avait-il cru. Il semblait que le moment fût venu de prendre date. Un frémissement traversa tout le corps de Philippe lorsqu'il prononça la parole fatidique.
— Quand ?
La joie qui brilla dans les yeux de son épouse et celle que cette vision lui inspira à lui le convainquirent qu'il avait pris la bonne décision. Isambour, petit à petit, sans avoir l'air d'y toucher, était parvenue à ses fins : il l'aimait. Pas de la passion connue avec Agnès, mais comme une compagne de longue date, tendre et prévenante, comme une confidente, une conseillère. Il ne lui manquait que de l'aimer comme une maîtresse, il désirait de tout son cœur y parvenir, et elle le désirait peut-être plus encore. Jamais une femme n'avait autant brûlé de se donner à lui ; il ne pouvait la décevoir.
— Quand tu reviendras de l'Ouest, répondit-elle. Avant que tu ne repartes pour la Flandre : à ce moment-là, tu auras besoin de toute ta sérénité.
Une contraction agita le coin des lèvres de Philippe. Ses tics avaient presque disparu, désormais ; ils ne se manifestaient que lorsqu'il était ému.
— Très bien, dit-il, mais j'exige quelque chose en échange : je vais emmener Louis, alors que Blanche doit accoucher dans les prochaines semaines ; il me serait d'un grand réconfort de te savoir au côté de ma bru à l'instant décisif.
Il avait vu trop de femmes mourir en couches pour laisser celle de son fils donner le jour à l'héritier du trône sans être assistée par plus compétent que des médecins. Isambour le comprit sans mal.
— J'y serai, assura-t-elle. Blanche est d'un commerce agréable et possède assez d'esprit pour que sa compagnie ne me lasse pas.
Guérin toussota discrètement. Il avait assisté à cet échange sans se manifester ni s'étonner de choses qu'il ne comprenait pas mais qui ne le regardaient en rien.
— Pardonnez-moi, sire : dois-je donner des ordres pour que nous levions le camp dès l'aube ?
— Sur-le-champ ! répondit Philippe. Nous allons faire une belle surprise à notre ami Jean.
Puis, comme l'Hospitalier se détournait pour sortir, il enlaça son épouse et lui donna un long baiser.
— Je le ferai pour toi, chuchota-t-il quand ils furent seuls, mais je ne promets pas de réussir.
— Si tu échoues, je promets, moi, de ne plus jamais te le demander et de m'accommoder de la vie que nous mènerons. Nous n'avons déjà perdu que trop de temps : c'est maintenant qu'il faut agir. Ou jamais.
Isambour atteignait la quarantaine, Philippe la cinquantaine. Elle avait raison : le temps leur était compté.
— Je veux que tu sois là, dit-il en la serrant contre lui. Sans toi, je n'y arriverai jamais.
Lorsqu'il dirigea enfin ses pas vers le Nord, Jean sans Terre se trouva donc confronté à une troupe qu'il supposait bien loin de là. Pour une fois, ses tendances naturelles à la couardise le servirent : sans chercher à engager le combat, il se replia vers l'Aquitaine, entraînant l'armée du Capétien de plus en plus loin de la Flandre.
Philippe, cependant, éventa vite la manœuvre. Il ne s'avança pas au delà de Châteauroux, où il se résolut à diviser ses troupes, laissant à son fils trois cents chevaliers choisis parmi les meilleurs et quelque dix mille sergents à cheval ou fantassins. Pour épauler Louis et en modérer une ardeur que ne révélait pas son aspect chétif, il lui
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