Le roi d'août
certitude qu'elle était aussi prête que lui puis, impatient, il la pénétra d'un coup, lui arrachant un petit cri de plaisir.
— Ouvre les yeux ! ordonna-t-il, la besognant déjà avec ardeur, moins soucieux de tendresse que de l'assouvissement encore jamais atteint du désir animal : pour la tendresse, ils auraient tout le temps plus tard.
L'hésitation d'Isambour fut à peine perceptible. Elle aussi savait qu'il fallait en arriver là. Quand ses paupières se soulevèrent, dévoilant deux flaques d'un bleu uniforme, Philippe sentit ses battements de cœur s'accélérer, la vieille terreur le mordre aux reins.
Non, se répétait-il. Ça ne me fait plus rien. Je n'ai plus peur. Mais il ne pouvait se mentir : déjà, il lui semblait que son pénis ramollissait. Isambour, sentant son trouble, s'était crispée. Dépité, il ne put s'empêcher de détourner le regard.
Et le posa sur Lysamour.
Lysamour dont le blanc des yeux se teintait aussi de bleu sous l'effet du spectacle auquel elle assistait. Lysamour qui ne pouvait rien contre lui, dont la vie même était suspendue à sa volonté. Mais surtout, Lysamour qui était là, attachée, qui ne le touchait pas. Ce n'était pas elle qui frémissait sous lui, dont les mains lui caressaient le dos, ce n'était pas en elle qu'il s'était introduit, c'était en Isambour, sa femme, qu'il aimait.
Il se retourna vers la reine, plongea le regard dans ses yeux d'azur, et pour la première fois, il le lui dit : Je t'aime. Elle ne répondit pas : elle lui noua les bras autour du cou et l'attira à elle pour l'embrasser. Sans s'en rendre compte, il avait recommencé d'osciller du bassin. Il lui fallut sentir les prémices de l'orgasme pour remarquer que son érection était revenue en force.
À Isambour, le fait n'avait pas échappé. En dépit de sa nervosité et de la gêne que lui inspirait un témoin, elle était si heureuse qu'elle parvenait à se détendre : les mains pressées au creux des reins de Philippe pour mieux l'attirer en elle, elle accompagnait ses mouvements à l'unisson, incapable de retenir des gémissements de volupté qu'elle n'entendait même pas. Lorsque son époux se tendit enfin, lorsqu'il se répandit au plus profond d'elle, elle ressentit un plaisir dont elle n'eût su dire s'il était moral ou physique mais qu'elle n'avait jamais connu auparavant et ne connaîtrait plus jamais.
Il retomba sur elle, haletant, elle l'entoura de ses bras, ils échangèrent un long baiser, puis ils demeurèrent l'un contre l'autre, encore unis, tout à leur bonheur – jusqu'à ce que le premier, le roi se rappelât où ils se trouvaient et en quelle compagnie.
Il se releva et aida son épouse à quitter la couche. Tous deux se rhabillèrent en silence. Lysamour les contemplait d'un air incertain.
Philippe se sentait d'humeur magnanime.
— Je vais te libérer, annonça-t-il avant de tirer son poignard, sans chercher à lui faire peur une dernière fois.
Il trancha l'un après l'autre les liens qui la retenaient. Elle ramena les jambes contre la poitrine, posa les bras sur les genoux, n'osant croire qu'elle s'en tirerait à si bon compte.
— Tu peux aller ton chemin, continua-t-il. Je souhaite qu'il ne croise plus le mien, voilà tout.
Elle hocha la tête, reconnaissante.
— Je parlerai au roi, ajouta Isambour. Je suppose que quand j'en aurai besoin, je saurai où le trouver.
— C'est comme ça que ça se passe, approuva la fille des rivières. Je te remercie sincèrement. Je… je vous remercie tous les deux.
Philippe ne lui accorda pas un regard supplémentaire : il estimait en avoir fait assez. Lui tournant le dos, il prit le bras d'Isambour et l'entraîna vers l'escalier. La cabane ne l'effrayait plus mais il avait envie de la fuir. Pour chevaucher jusqu'à Compiègne, s'enfermer avec sa femme et lui faire à nouveau l'amour, dans leur lit. La dévêtir cette fois sans violence, attiser son désir peu à peu plutôt que de le lui imposer en soudard – et enfin l'aimer, l'aimer longtemps, tendrement, voluptueusement, l'aimer pour toutes les années pendant lesquelles il ne l'avait pas aimée.
Son vœu se réalisa cette nuit-là et toute la journée du lendemain et la nuit suivante.
Ensuite, il repartit faire la guerre.
« Ainsi donna li Roi de gloire
Au fils du roi françois victoire,
Qui emprendre osa tel besoingne ;
Ainsi orent Anglois vergoingne. »
(Ainsi Dieu donna la victoire au fils du roi de France qui osa
entreprendre
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