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Le roi d'août

Le roi d'août

Titel: Le roi d'août Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Pagel
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du culte.
    Philippe hésita un instant avant de se reprendre, haussant quelque peu le ton.
    — Certes, j'y ajoute foi ! De toute façon, qu'attendre de gens qui, comme le rappelait le frère Bernard, ont été les bourreaux du Christ ?
    — Certains l'ont été, c'est vrai. Ceux-là sont morts depuis beau temps.
    — J'en déduis que vous n'approuvez pas.
    Le maréchal poussa un long soupir.
    — Je n'ai ni à approuver ni à désapprouver vos choix, mais il est une chose que je n'apprécie guère, c'est la duplicité. Si les Juifs sont criminels, qu'on les exécute. S'ils ne le sont pas, qu'on les laisse en paix.
    — Je n'ai guère envie de commencer mon règne par un bain de sang, répliqua le roi. Et le fait est que les coffres sont vides. Préférez-vous donc que j'accable mon peuple d'impôts ?
    — Je ne préfère rien, sire. Vous m'avez demandé mon avis, je vous le donne, voilà tout. Je souhaite que vous n'ayez pas à vous repentir de vos actes et que l'histoire ne vous juge pas trop durement.
    Philippe hocha la tête.
    — Je vous remercie, maréchal. Je me souviendrai de vos paroles.
    Resté seul, il se rassit, les coudes sur la table, les doigts plongés dans une chevelure toujours aussi indisciplinée.
    La désapprobation de son vieux maître lui pesait. Pourtant, il ne parvenait pas à regretter sa décision : elle lui vaudrait le soutien tant des évêques que des nombreux débiteurs des Juifs, et l'argent récolté serait employé pour le bien du royaume. Quant aux victimes, il savait bien sûr qu'elles n'étaient pas innocentes. Quiconque ne respectait pas les lois de l'Église ne pouvait être innocent. Et lui ne pouvait s'autoriser la moindre tiédeur à l'égard des infidèles. S'il était dépourvu d'âme, comme il le craignait, Dieu, pour peu qu'il le servît fidèlement, déciderait peut-être dans sa grande bonté de lui en conférer une.
    « […] ce n'était là que le prélude de leur [des Juifs] prochain
bannissement, qui ne tarda pas, grâce à Dieu, à suivre ce premier
avertissement. »
    Rigord, Gesta Philippi Augusti.

3
    Quelques semaines avaient passé. On était le dimanche après les feux. Dans la grand-salle du palais royal qu'égayaient des tentures colorées, les tables, longs panneaux de bois supportés par des tréteaux, étaient disposées en fer à cheval. Répondant à l'appel des trompes qui venaient de corner l'eau, les convives arrivaient. Certains n'avaient pour cela qu'à quitter leur banc de pierre au sein d'une des immenses cheminées ménagées aux deux extrémités de la pièce, où se consumaient d'énormes bûches – seuls endroits du palais où il fût vraiment possible de se réchauffer. Il y eut bientôt là plusieurs dizaines de personnes, nobles et moins nobles, devisant par petits groupes dans l'éclat jaunâtre de la myriade de chandelles que portait le grand lampier du plafond. Afin de faire honneur aux hôtes du roi, on n'avait pas lésiné sur l'éclairage, puisqu'à ce lustre imposant s'ajoutaient des candélabres posés de loin en loin sur les tables et des torches fixées aux murs. Les portes voûtées de la grand-salle, ouvertes, le resteraient pendant tout le repas, comme le voulait la coutume, afin que quiconque le désirait pût entrer et profiter des largesses des invités.
    Philippe, visiblement soucieux, arriva parmi les derniers, en compagnie du comte de Flandre et de son beau-frère Baudouin de Hainaut, dont la visite à la cour était l'occasion du banquet – possible du fait qu'on était dimanche, unique jour de la semaine où ne s'appliquait pas le jeûne du carême. Les deux comtes retrouvèrent là leurs épouses respectives, qui s'entretenaient fort gaiement avec un jeune homme de belle allure, Conon de Béthune, cousin de Baudouin et trouvère réputé. Chacun gagna ensuite sa place réservée, le roi au centre, encadré des grands seigneurs et de leurs dames, tandis que les convives de plus petite naissance occupaient les deux branches du fer à cheval.
    Dès que Philippe se fut approché de la table, un page vint à lui, porteur d'une aiguière et d'un bassin, afin qu'il se lavât les mains d'une décoction de sauge. D'autres s'empressèrent pareillement auprès de ses hôtes, par ordre de préséance. On prit alors place sur les bancs, relevant la longue nappe blanche doublée qui tombait jusqu'à terre du côté de la table où l'on s'asseyait et la posant sur ses genoux.
    — Quelle magnificence, sire,

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