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Le roi d'août

Le roi d'août

Titel: Le roi d'août Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Pagel
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pas être en reste.
    Thibaut de Blois, éberlué de cette soudaine violence, marmonna de vagues excuses avant de se renfrogner. Le comte de Flandre, toujours debout près du siège royal, toussota avec ostentation.
    — Bien, dit-il. J'estime que l'incident est clos. Même si je n'ai pas été consulté en la matière…
    — Ma foi, je ne sache pas que le roi doive consulter qui que ce soit pour la moindre de ses décisions, coupa Robert de Dreux. Il vient d'ailleurs de nous le prouver avec éclat.
    — Même si je n'ai pas été consulté, reprit Philippe d'Alsace sans relever l'interruption, je tiens pour fort sage la décision de confier le sceau à messire Hugues, et je ne doute pas que chacun, ici, l'approuve. (Comme il parcourait des yeux le clan champenois, la reine Adèle hocha la tête, peu enthousiaste, imitée par Guillaume aux Blanches Mains. Thibaut, vexé, contemplait ses genoux.) En conséquence, nous pouvons en arriver à la question qui nous occupe aujourd'hui au premier chef. Dans sa grande sagesse, le roi Philippe vient de décider des mesures qui combleront de joie tous les Chrétiens, puisqu'elles en visent les plus mortels ennemis. J'ai nommé : les Juifs.
    — Les Juifs ? ne put s'empêcher de répéter Raoul de Clermont. Je crois être aussi bon Chrétien que n'importe qui, mais je ne vois pas en quoi ils sont nos ennemis. Ils peuvent même être fort utiles… D'ailleurs, le roi Louis les a toujours protégés.
    — Mon père n'a jamais été informé de certains faits, expliqua le jeune souverain, dont la colère était tombée aussi vite qu'elle avait monté. (Il se tourna vers l'ermite, lequel avait levé les yeux de son chapelet, à présent qu'on abordait le sujet qui lui importait.) Frère Bernard, veuillez répéter à cette assemblée ce que vous m'avez dit tout à l'heure.
    — Les Juifs sont impies, blasphémateurs et assassins ! affirma le religieux, une étincelle mystique au fond des yeux. Non seulement, ils furent les bourreaux du Christ, mais encore ont-ils juré la perte de tous ses fidèles. Nul n'ignore qu'ils obligent leurs serviteurs chrétiens à abjurer leur foi ni qu'ils profanent honteusement les calices, les ciboires, les crucifix que leur infâme négoce leur permet de recevoir en gage. De surcroît, ils bafouent la loi de Dieu. Il est écrit dans le Deutéronome : « Tu ne prêteras pas à usure à ton frère mais à l'étranger. » Et eux, comptant les Chrétiens comme étrangers, leur prêtent à usure ; leurs pauvres victimes, accablées de dettes, sont contraintes de leur vendre tout ce qu'elles possèdent, au point qu'aujourd'hui, la moitié de Paris appartient aux Juifs !
    L'ermite s'interrompant afin de reprendre son souffle, Raoul de Clermont tenta de s'immiscer dans le discours.
    — Êtes-vous sûr de ne pas exagérer un peu ? demanda-t-il. La moitié de Paris… Peste ! Comme vous y allez. J'avoue que je ne suis guère convaincu. Pas plus, d'ailleurs, que par vos autres allégations. J'aimerais des preuves.
    Un murmure approbateur prouva qu'il exprimait l'opinion quasi générale. Seuls le roi et le comte de Flandre paraissaient accepter comme paroles d'évangile les propos du frère Bernard.
    Ce dernier leva les mains au ciel, son regard halluciné fixé sur le connétable.
    — Repens-toi, homme de peu de foi ! entonna-t-il. Tu croirais si tu voyais, mais le Seigneur a dit : « Heureux celui qui croit sans avoir vu. » S'il te faut néanmoins des preuves, tu n'as qu'à te rendre dans les grottes où les Juifs se réunissent le jour de Pâques. Là, tu assisteras à leurs cérémonies démoniaques, durant lesquelles ils immolent des Chrétiens. Ils les crucifient !
    — Je n'ai jamais ouï dire que… commença Raoul de Clermont, obstiné.
    — Allons ! l'interrompit Philippe d'Alsace. Ne dirait-on point que vous soupçonnez d'affabulation le plus juste d'entre nous ? Songez que notre sire et moi-même avons été convaincus par ses arguments. Mettriez-vous aussi en doute notre jugement ?
    L'apostrophe, qu'accompagnait un regard lourd de sous-entendus, fut plus efficace que toutes les exhortations de l'ermite. Le connétable soutenait le comte de Flandre dans des manœuvres politiques primordiales, encore secrètes : il n'eût pas été sage de l'affronter pour un problème mineur – somme toute, que lui importaient les Juifs ?
    — J'implore votre pardon, monseigneur, dit-il, et le vôtre, sire. Si le frère Bernard a

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