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Le roi d'août

Le roi d'août

Titel: Le roi d'août Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Pagel
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s'exclama le comte de Hainaut en désignant d'un ample geste la vaisselle de cuivre et d'argent. Je jure que même à la cour du roi Henri, je n'ai jamais vu hanaps plus joliment ciselés.
    — Voilà un compliment qui me va droit au cœur, répondit Philippe, que la flatterie irritait mais qui désirait se conserver les bonnes grâces du Hennuyer.
    Baudouin, la trentaine rondouillarde et réjouie, seigneur de second plan, n'avait encore jamais eu l'honneur de dîner (3) à la droite d'un roi. Il était toutefois depuis peu l'héritier du comte de Flandre, que la stérilité de son épouse avait contraint à cette désignation, et possédait en outre une qualité qui faisait tout le prix de son amitié : sa femme à lui n'était pas stérile.
    Quand tout le monde fut installé, l'archevêque de Reims dit le bénédicité, les convives récitant en chœur les répons, puis des serviteurs ôtèrent les couvercles des soupières posées sur des chaufferettes et garnirent les écuelles, tandis que d'autres allaient remplir de vin coupes ou hanaps aux aiguières qui attendaient sur une desserte.
    La table royale paraissait curieusement coupée en deux. Sur la droite de Philippe, les Hennuyers, les Flamands et leurs alliés du moment, tel le connétable Raoul, devisaient avec entrain, non sans faire honneur à l'épais potage agrémenté d'œufs battus et de croûtons. Sur sa gauche, la reine mère et le clan Champenois affichaient une mine encore plus grise qu'à l'ordinaire et mangeaient du bout des lèvres. Quelque chose se préparait : c'était la seconde fois en trois mois que Baudouin de Hainaut venait à la cour ; la première, il s'était entretenu avec Louis VII dans le plus grand secret ; en ce jour, voilà qu'il était même convié à partager l'écuelle du jeune roi – le vieux, abandonné sur son grabat d'infirme, constituant le grand absent de l'assemblée. Quelque chose se préparait, oui, mais ils ignoraient quoi, puisqu'on avait pris soin de ne pas les en informer, et ils sentaient donc que la chose ne pourrait être à leur avantage.
    Seule exception à la morosité de leur maison, la charmante comtesse Marie, épouse du comte Henri de Troyes, lequel était enfin rentré de Terre Sainte. Cette demi-sœur aînée de Philippe, d'un caractère enjoué, réussissait presque à emporter ses voisins dans son allégresse en leur vantant le dernier roman courtois de son auteur favori, Chrétien, à qui ses œuvres évoquant la cour fabuleuse du roi Arthur valaient d'ores et déjà la célébrité hors les frontières du comté où il avait trouvé aide et protection.
    Baudouin reposa l'écuelle à oreilles qu'il venait de porter à sa bouche et, comme le roi s'en emparait pour aspirer à son tour un peu de soupe, il s'essuya les lèvres à la nappe avant d'empoigner leur hanap commun.
    — Et ce vin de Meulan est une merveille, assura-t-il. Nous n'avons pas son égal dans nos régions. Si jamais l'affaire qui nous occupe trouve la conclusion espérée, je me ferai une joie de venir plus souvent à votre cour.
    Philippe eut un plissement de lèvres contrarié.
    — La cour se fera une joie de vous accueillir, mais l'heure n'est pas à pareille discussion, ce me semble, dit-il, atténuant le reproche d'un sourire.
    Le mal, toutefois, était fait.
    — Pourrait-on enfin savoir en quoi consiste cette fameuse affaire ? interrogea Adèle de Champagne, saisissant l'occasion.
    Philippe but un peu de vin avant de répondre. Ce breuvage, depuis qu'on le lui permettait, était l'une de ses grandes joies. Il en aimait le goût, le bouquet et l'effet, même s'il se contraignait à ne pas en abuser lorsqu'il voulait conserver les idées claires.
    — Vous le saurez, ma mère, soyez sans crainte, répondit-il, mais ne viens-je pas de déclarer que l'heure était mal choisie pour en parler ? (La reine mère se renfrognant, il ajouta d'un ton léger :) Discussion trop sérieuse pendant le repas entrave la digestion. Tenez, voilà les viandes qui arrivent !
    De fait, tandis qu'on rapportait les soupières aux cuisines, les dessertes se couvraient de longs plats abrités par des cloches. Comme s'ils n'avaient attendu que cet instant pour se manifester, deux ou trois chiens et une demi-douzaine de chats, auparavant couchés sous les tables, se mirent à tourner autour des écuyers tranchants qui s'apprêtaient à remplir leur office. Plus tard, ils solliciteraient les convives dans l'espoir rarement déçu de se

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