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Le roi d'août

Le roi d'août

Titel: Le roi d'août Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Pagel
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jeune roi.
    Or, soucieux, ce jour-là, il l'était ô combien ! La veille encore, à l'arrivée de Baudouin, il croyait l'affaire conclue. Après Vêpres, pourtant, tandis qu'on soupait d'un morceau de pain et d'un peu d'eau, comme le prescrivait l’Église durant le carême, ledit Baudouin s'était longuement entretenu avec Henri de Troyes, et leur conversation n'avait pas donné l'impression de les contrarier. Certes, les deux hommes ne s'étaient pas vus depuis le départ en pèlerinage du second, mais les merveilles du Saint Sépulcre ne constituaient sans doute pas toute la substance de leurs confidences. Philippe n'oubliait pas qu'ils s'étaient engagés par serment à marier leurs enfants, la petite Isabelle de Hainaut au petit Henri de Champagne, la petite Marie de Champagne au petit Baudouin de Hainaut. Alliance des plus dangereuses pour le royaume de France, qui se fût alors trouvé littéralement pris entre le marteau et l'enclume : le marteau d'une coalition unissant Champenois, Hennuyers et Flamands, l'enclume angevine.
    Louis VII, plus habile qu'on ne voulait bien le dire, avait jeté le trouble dans ces projets par sa dernière décision importante : la désignation de Philippe d'Alsace comme gardien du jeune roi. Il s'était vu pleinement soutenu par les Dreux qui n'avaient guère d'amour pour le comte de Flandre mais comprenaient que l'intérêt du royaume passait avant leurs querelles personnelles. En outre, ils savaient que le parti de la reine mère, s'il continuait de commander, aurait tôt fait de les écarter du trône ; avec le Flamand, qui leur serait redevable, ils conservaient une chance de rester en grâce.
    La manœuvre avait été couronnée de succès : devenu le premier personnage de la cour et soucieux de consolider sa position, l'ambitieux parrain n'avait eu de cesse que de semer la discorde entre les deux familles projetant de s'unir – favorisé en cela par l'absence prolongée du comte de Troyes.
    Le ver était donc dans le fruit, mais aurait-il le temps de le ronger avant de s'en faire expulser ? C'était ce qui préoccupait Philippe, au point que lorsque retomba la discussion concernant les attraits du Hainaut, il laissa Baudoin entreprendre le comte de Flandre sur une subtilité de vénerie et conserva un mutisme total tandis qu'on servait de vieux fromages, gras à souhait, de Champagne et de Brie. Perdu dans ses pensées, ce fut à peine s'il entendit la reine mère, à sa gauche, débattre avec Guillaume aux Blanches Mains de ce concept nouveau, le Purgatoire, sur lequel travaillaient les théologiens de l'école de Notre Dame de Paris, toujours empressés à découvrir le sens caché des Écritures.
    — Songez, ma sœur, disait l'archevêque, qu'il est écrit dans le Deuxième Livre des Maccabées : « Il est bon et utile de prier pour les défunts. » À quoi cela serait-il bon, je vous le demande, si leur âme était d'ores et déjà sauvée ou damnée pour l'éternité ? Le purgatoire existe, n'en doutons pas, et j'y vois une nouvelle preuve de la bonté divine.
    Philippe n'en doutait pas, et il y voyait la même chose, mais pour qu'une âme fit pénitence, encore fallait-il qu'elle existât.
    L'irritation le tira des sombres pensées revenues l'assaillir quand il vit des serviteurs écarter entre les tables la paille qui couvrait la mosaïque du carrelage, afin de permettre aux artistes d'évoluer plus aisément. Le roi n'avait aucun goût pour ces divertissements que prisaient tant ses compagnons. Un jour, songeait-il, une fois plus assuré sur son trône, il les abolirait en son séjour.
    Se présentèrent tout d'abord des acrobates, qui rivalisèrent d'équilibre et d'agilité, puis deux cavaliers émérites obtenant de leurs montures de véritables prodiges. Parmi les invités, les conversations moururent par la force des choses, les sabots des chevaux emplissant tout l'espace sonore de la grand-salle. Elles reprirent à peine durant la courte pause qui se fit dans le spectacle, alors qu'on apportait les desserts : crèmes variées, gaufres, oublies et fruits secs.
    Tandis que l'assistance se régalait de ces sucreries, un jongleur installa son escabeau au centre exact du fer à cheval formé par les tables et, s'y asseyant, posa sur ses genoux un psaltérion dont il gratta les cordes à l'aide d'une plume.
    Lorsqu'il se mit à chanter, une exclamation ravie échappa à Marie de Champagne et à sa sœur Alix, l'épouse de Thibaut de Blois. L'homme,

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