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Le roi d'août

Le roi d'août

Titel: Le roi d'août Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Pagel
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demandait encore s'il serait assez fort.
    Il se retourna lentement vers son armée. Au bord de l'eau, debout, les bras ballants, son maréchal, le connétable et Richard le contemplaient en silence. S'il échouait, on mettrait en doute sa raison. L'effet produit sur le comte de Poitiers, en particulier, serait fort mal venu.
    Raison de plus pour ne pas échouer.
    Levant les yeux vers le ciel, les plissant sous les assauts d'un soleil que couvraient pourtant de fins nuages blancs, il lança à Dieu une prière vibrante : Seigneur, vous qui voyez toutes choses et à qui rien n'est impossible, si l'héritage que je tiens du peuple maudit ne vous est pas trop odieux, accordez-moi la puissance de réussir. Je n'agis que pour votre gloire et celle du royaume de France.
    Depuis Levroux, il ne manquait jamais d'invoquer le Créateur avant d'user de ses pouvoirs : si Dieu permettait les prodiges, c'était sans doute qu'ils lui étaient agréables. S'il n'avait pas voulu qu'un mortel disposât de tels talents, ne les lui eût-il pas retirés ? À moins qu'il ne s'agît d'une mise à l'épreuve : le Diable lui envoyant les pouvoirs et Dieu les lui laissant afin de respecter son libre arbitre. Depuis qu'il avait pris la décision de les utiliser au besoin, toutefois, c'était une hypothèse que Philippe refusait d'envisager. La grâce divine reposait sur lui et sur le royaume : se permettre d'en douter eût ôté tout sens à sa vie.
    Peu à peu, presque sans qu'il en eût conscience, la transition se produisit : ses pensées cessèrent d'exalter le Seigneur pour revenir sur terre, s'emplir de son but. Il se détendit, se donna tout entier à sa tâche, se laissa pénétrer par la magie de la nature. Bientôt, pour lui, plus rien n'exista que l'eau.
    — Je vous affirme qu'il déraisonne, disait Richard, hésitant entre chagrin et fureur. Est-ce moi qui ai la berlue ou a-t-il l'expression d'un moine en extase ? Je vais finir par aller le chercher, ne serait-ce que pour l'empêcher de se noyer.
    — N'en faites rien, monseigneur ! l'adjura le connétable. Il m'a déjà été donné de le voir dans cet état, et c'est là une occasion dont je me souviendrai, dussé-je vivre mille vies. (Il tomba à genoux.) Prions, plutôt ! Aidons-le !
    Le comte de Poitiers et Aubri Clément le regardèrent avec stupéfaction joindre les mains, tourner le visage vers le ciel et remuer les lèvres en une imploration silencieuse.
    — Mais l'aider à quoi faire ? tempêta Richard. Si au moins nous savions…
    — Regardez ! s'exclama le maréchal, le bras tendu.
    Le jeune Plantagenêt se demanda un instant de quoi il parlait puis ses yeux s'écarquillèrent.
    — C'est une illusion, balbutia-t-il. Cela ne se peut pas.
    — Cela se peut si Dieu le veut, corrigea Raoul de Clermont. À genoux, messeigneurs ! À genoux et priez !
    Ses deux compagnons, cette fois, obéirent aussitôt, joignant leur exaltation à la sienne. Ceux des soldats qui se trouvaient assez près pour observer la scène, eux aussi frappés d'émerveillement, les imitèrent. Le mot se répandit rapidement dans le campement, provoquant un important flux humain. Bientôt, ce fut une foule compacte qui se tint sur la berge, figée dans la prière ou la contemplation. La plupart de ces hommes avaient entendu parler du miracle de Levroux, mais quoique leur âme simple n'eût pas mis la chose en doute, jamais ils n'eussent cru assister un jour à un événement du même ordre.
    Pourtant, ils y assistaient.
    De leurs yeux, ils voyaient leur roi, en chemise, plongé dans les eaux tel le saint qu'on fêterait le lendemain, les traits marqués d'une expression qui pouvait être d'extase aussi bien que de douleur. Et de leurs yeux, ils voyaient les eaux baisser de part et d'autre de lui. La surface qui, tout à l'heure, léchait presque les berges en était à présent éloignée d'un pied – et le phénomène se poursuivait, s'accélérait. Le ciel demeurait gris, si bien que pas un rayon de soleil ne jaillit entre les nuages pour se poser sur Philippe et le désigner comme un bienheureux ; plus tard, cependant, nombre de soldats jureraient que cela avait été.
    Le roi tomba lui aussi à genoux dès que le niveau le lui permit, et il ne vint à l'idée de personne que cela pût être non pour mieux prier mais parce que l'effort le vidait de son énergie, parce qu'il était incapable de se tenir debout.
    L'eau ne lui monta bientôt plus que jusqu'à la poitrine, puis

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