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Le roi d'août

Le roi d'août

Titel: Le roi d'août Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Pagel
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Clément, éberlué.
    Philippe se trouvait alors à quinze toises de ses compagnons. Laissant sa vouge plantée dans la rivière, à un endroit où l'eau n'eût pas submergé un homme de taille moyenne, il avait appelé auprès de lui un écuyer qui l'aidait à ôter son haubert et ses chausses de mailles. Lorsqu'il fut simplement vêtu de sa chemise et de ses braies, il regagna la rive, demeura immobile quelques instants, comme hésitant, puis s'assit, les jambes immergées. L'instant d'après, il se laissait glisser tout entier dans la Huisne, dont la surface lui affleurait le menton. Sa vouge en main, il avança lentement vers l'autre berge, tâtant le terrain devant lui et sur les côtés.
    — Il cherche à déterminer si la profondeur est constante en ce point, continua Aubri. Cela, au moins, c'est évident. Mais je ne vois toujours pas…
    — S'il ne s'agissait que de traverser à la nage, ce serait fait depuis longtemps, s'emporta Richard. Même s'il a pied, croit-il que les chevaux passeront ? Et les charpentiers, avec leur matériel ? Non, par ma foi, je crois bien qu'il a perdu l'esprit.
    Seul, Raoul de Clermont restait songeur, étonnamment confiant. Mais des trois grands réunis là, il était le seul à s'être trouvé au siège de Levroux. À avoir vu.
    Un terrible effort de volonté fut nécessaire à Philippe pour se plonger dans la rivière. Lorsqu'il sentit la fraîche étreinte se refermer sur lui, il ne put s'empêcher de frémir.
    C'était la toute première fois qu'il se baignait ainsi depuis l'âge de quatorze ans. La sensation était délicieuse, autant que de serrer contre son corps nu celui de l'être aimé, et il se demanda comment il avait pu s'en priver si longtemps : l'élément liquide l'accueillait à la manière d'une matrice, s'infiltrait dans les moindres replis de sa peau, le caressait, lui insufflait sa force. La vase et les plantes aquatiques du fond formaient un tapis soyeux sous ses pieds. Çà et là, tant il communiait avec ce milieu, il percevait autour de lui la présence de petits poissons curieux qu'il savait pouvoir pêcher rien qu'en tendant la main si la fantaisie l'en prenait.
    Pourtant, l'angoisse subsistait, sourde, quasi irrationnelle – maîtrisée mais bien présente. Et si Lysamour n'avait attendu que cette occasion ? Et si elle avait suivi pas à pas la trace de sa proie, poussée par la haine, discrète, s'insinuant de fleuve en rivière, de rivière en ruisseau, toujours invisible mais toujours présente ?
    Au fond de lui, Philippe n'y croyait pas : pour passer du cours d'eau où il avait rencontré la créature à celui-ci, une longue marche en surface ou un détour par l'océan eussent été nécessaires ; si tôt après avoir été réprimandée par son roi, Lysamour n'eût pas pris pareille peine pour assouvir une vengeance dont on risquait de la frustrer au dernier moment, comme la fois précédente. Il n'y croyait pas, non, mais une petite partie de lui-même, insensible à la raison, redoutait à chaque instant que le monstre surgisse, qu'il l'empoigne de ses mains glacées, puissantes, et l'entraîne vers le fond, vers la noyade.
    Alors qu'il approchait du milieu de la rivière, il découvrit un avantage à la situation : ses craintes, en l'empêchant de se sentir trop à l'aise, l'empêchaient aussi d'oublier la tâche qu'il s'était fixée ; pour un peu, il eût abandonné la vouge qui l'encombrait, plongé la tête sous les eaux sales et exploré le lit accueillant de la Huisne. Il lui semblait pouvoir nager des heures sans ressentir la fatigue.
    Toutefois, il n'était pas temps de se laisser aller à ces pulsions animales. Se promettant de revenir à la première occasion profiter des plaisirs dont il s'était sottement privé pendant des années, il parvint au terme de sa traversée et jeta l'arme sur la rive. Son instinct ne l'avait pas trompé : ici, la profondeur était un peu moindre qu'alentour, sur toute la largeur du cours d'eau. Inférieure de trois pieds à peine – mais trois pieds, pour ce qu'il avait en tête, ce serait important.
    Ce serait, il l'espérait, suffisant.
    Tout de suite, il avait compris qu'il ne pourrait accomplir pareil prodige en demeurant sur la berge, qu'il lui faudrait un contact intime et prolongé avec l'eau. À présent qu'il se trouvait là, plus à l'aise qu'une grenouille, assimilant de tous ses sens ce qu'était la vie de la rivière, en sentant battre le cœur hypothétique, il se

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