Le roi d'août
ardente. En outre, si elle dormait seule, son époux lui faisait souvent la surprise de débouler dans ses appartements en pleine journée, d'en chasser ses suivantes amusées, et de la prendre avec fougue ou tendresse, selon les cas, avant de courir retrouver Richard. Si l'on ajoutait à sa certitude d'être aimée les joies que lui apportait son fils, dont elle tenait à s'occuper elle-même le plus possible, Isabelle s'estimait aussi heureuse qu'elle pouvait l'être et bien plus qu'elle n'eût cru le devenir quelques années auparavant. La présence de l'encombrant invité de Philippe ne lui inspirait donc aucune jalousie et, bien qu'elle ne l'appréciât guère, elle s'employait à se montrer envers lui aussi charmante qu'envers ses meilleurs amis, afin de favoriser les entreprises du roi.
Ainsi s'écoula la vie à la cour de France jusqu'aux premiers beaux jours.
Un peu avant Pâques, Henri II, dont la santé ne cessait de se dégrader, tenta de couper court à la guerre qui s'annonçait en regagnant son fils à sa cause. Dans ce but, il lui dépêcha l'archevêque de Canterbury à La Ferté-Bernard, muni d'un message plus implorant que conciliant – lequel eut pour seul effet une nouvelle mise en demeure de Richard. Ce dernier ajouta à cette occasion une revendication aux précédentes : que son frère Jean l'accompagnât lorsqu'il partirait pour la Terre Sainte, afin d'éliminer les chances de le voir couronner à sa place. Au risque de perdre la prunelle de ses yeux, le vieux roi ne pouvait consentir plus qu'au reste, si bien que les tractations en restèrent là.
À la veille des fêtes de la Résurrection, survint un événement imprévu : la visite à Paris d'un légat du pape. Philippe le reçut avec tout le respect dû à sa charge et écouta le message que lui dépêchait ainsi le chef de la Chrétienté.
Il n'en crut pas ses oreilles.
Du haut de son trône pontifical, Clément III lui ordonnait de mettre un terme à sa querelle avec le roi d'Angleterre, afin que leur départ outre-mer ne fût plus retardé d'un instant. Tout délai supplémentaire serait sanctionné par une sentence d'Interdit jetée sur le royaume de France.
Les familiers de la cour n'ayant pas encore eu l'occasion d'observer la colère du Capétien furent ce jour-là édifiés. Au fur et à mesure que le légat parlait, on vit le jeune souverain pâlir puis s'empourprer, jusqu'à ce qu'enfin, il bondît hors de son siège en poussant un cri de rage.
Il jeta aux pieds du légat la coupe emplie de vin qu'il tenait en main, se retenant à grand peine de la lui lancer au visage. Tout son corps était animé de tremblements nerveux, au point qu'on put se demander s'il n'allait pas subitement tomber mort, frappé d'apoplexie.
— Par la lance de saint Jacques ! s'exclama-t-il lorsqu'il eut retrouvé l'usage de la parole. Ah, le pape m'ordonne ! Ah, il me menace ! Mais de quoi se mêle-t-il, je vous le demande ?
— De grâce, sire, maîtrisez-vous avant que vos paroles ne dépassent votre pensée, intervint Guillaume aux Blanches Mains, qui assistait à l'entretien.
Philippe lui jeta un coup d'œil furieux.
— Mes paroles, mon oncle, n'expriment ni plus ni moins que ma pensée, je vous l'assure. J'ai le plus grand respect pour Sa Sainteté et m'en remettrai sans réserve à son jugement en matière de religion. Il n'est cependant pas ici question de Dieu mais de mater un vassal rebelle : c'est là une affaire dans laquelle je lui dénie toute espèce d'autorité. (Il se retourna vers le légat éberlué d'une telle violence.) Avez-vous compris la réponse que vous devez porter à votre maître, monseigneur, ou est-il nécessaire que je la répète ?
Ce fut là le premier conflit entre ce roi si pieux et la papauté. Il n'eut aucune conséquence, car Clément III n'osa pas mettre à exécution sa menace – même quand l'empereur partit pour la Terre Sainte, lui, donnant ainsi l'exemple à tous les princes chrétiens.
Quelques années plus tard, à l'occasion d'une dispute bien différente, un autre pape n'aurait pas de tels scrupules.
« Q'Alixandres, lo reis qui venquet Daire,
non cre que tan dones ni tan meses ;
ni anc Karles ni Artus plus valgues,
c'a tôt lo mon si fetz, qui-n vol ver dir,
als us doptar et als autres grazir.
(Quant à Alexandre, le roi vainqueur de Darius, je ne crois pas
qu'il ait tant donné ni dépensé, ni que Charlemagne ou Arthur ait
eu plus de valeur, car, pour dire la
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