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Le Roi de fer

Le Roi de fer

Titel: Le Roi de fer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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approbation qui lui
venait, inattendue, des profondeurs de son peuple, lui était plus précieuse et
plus douce que toutes les louanges de cour. « J’aurais dû étendre la
franchise à tous les bailliages… Cet homme que je viens de voir, si on l’avait
instruit au jeune âge, aurait pu faire un prévôt ou un capitaine de ville
meilleur que beaucoup. »
    Il songeait à tous les André du
bois, du val ou du pré, les Jean-Louis des champs, les Jacques du hamel ou bien
du clos, dont les enfants, sortis de la condition serve, constitueraient une
grande réserve d’hommes et de forces pour le royaume. « Je vais voir avec
Enguerrand à reprendre les ordonnances. »
    À ce moment, il entendit un
« raou… raou » rauque, bref, sur sa droite, et il reconnut la voix de
Lombard.
    — Beau, mon valet, beau !
Rallie là-haut, rallie là-haut ! s’écria-t-il.
    Lombard était sur la voie, courant
d’une foulée longue, le nez à quelques pouces du sol. Ce n’était point le roi
qui avait perdu la chasse, mais tout le reste de la compagnie. Philippe le Bel
ressentit un plaisir de jeune homme à penser qu’il allait forcer le grand
dix-cors, seul avec son chien préféré.
    Il remit son cheval au galop et,
sans notion du temps, à travers champs et vallons, sautant les talus et les
barrières, il suivit Lombard. Il avait chaud et la sueur lui ruisselait tout le
long du dos.
    Soudain, il aperçut une masse sombre
qui fuyait sur la plaine blanche.
    — Taille-hors ! hurla le
roi. À la tête, mon Lombard, à la tête !
    C’était bien le cerf d’attaque, un
grand animal noir à ventre beige. Il n’avait plus son allure légère du début de
la chasse ; son échine dessinait cette forme de hotte dont avait parlé le
paysan, et qui décelait la fatigue ; il s’arrêtait, regardait en arrière,
repartait d’un bond pesant.
    Lombard aboyait plus fort de chasser
à vue, et gagnait du terrain.
    La ramure du dix-cors intriguait le
roi. Quelque chose y brillait par instants, puis s’éteignait. Le cerf n’avait
rien pourtant des bêtes fabuleuses dont les légendes étaient pleines, tel le
cerf de saint Hubert, infatigable, avec sa croix d’église plantée sur le front.
Celui-ci n’était qu’un grand animal épuisé, qui avait fait une chasse sans
finesse, filant droit devant sa peur à travers la campagne, et qui serait
bientôt aux abois.
    Ayant Lombard aux jarrets, il
pénétra dans un boqueteau de hêtres et n’en ressortit point. Et bientôt la voix
de Lombard prit cette sonorité plus longue, plus haute, à la fois furieuse et
poignante, que les chiens émettent quand l’animal qu’ils poursuivent est
hallali.
    Le roi à son tour entra dans le boqueteau ;
à travers les branches passaient les rayons d’un soleil sans chaleur qui
rosissait le givre.
    Le roi s’arrêta, dégagea la poignée
de sa courte épée ; il sentait entre ses jambes cogner le cœur de son
cheval ; lui-même était haletant et aspirait l’air froid à grandes
goulées. Lombard ne cessait de hurler. Le grand cerf était là, adossé à un
arbre, la tête basse et le mufle presque à ras du sol ; son pelage
ruisselait et fumait. Entre ses bois immenses, il portait une croix, un peu de
travers, et qui brillait. Ce fut la vision qu’eut le roi l’espace d’un instant,
car aussitôt sa stupeur tourna au pire effroi : son corps avait cessé de
lui obéir. Il voulait descendre, mais son pied ne quittait pas l’étrier ;
ses jambes étaient devenues deux bottes de marbre. Ses mains, laissant échapper
les rênes, restaient inertes. Il tenta d’appeler, mais aucun son ne sortit de
sa gorge.
    Le cerf, la langue pendante, le
regardait de ses grands yeux tragiques. Dans ses ramures, la croix s’éteignit,
puis brilla de nouveau. Les arbres, le sol et l’ensemble du monde se
déformèrent devant les yeux du roi, qui ressentit comme un effroyable
éclatement dans la tête ; puis un noir total se fit en lui.
    Quelques moments plus tard, quand le
reste de la chasse arriva, on découvrit le roi de France gisant aux pieds de
son cheval. Lombard aboyait toujours le grand cerf pèlerin dont on remarqua que
les andouillers étaient chargés de deux branches mortes, accrochées dans
quelque sous-bois, et qui luisaient au soleil sous leur vernis de givre.
    Mais on ne perdit point de temps à
se soucier du cerf. Tandis que les piqueurs arrêtaient la meute, il prit la
fuite, un peu reposé, suivit seulement de quelques chiens

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