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Le Roi de fer

Le Roi de fer

Titel: Le Roi de fer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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garde des Sceaux se leva. Depuis
le début du conseil, il était brûlé d’une colère qui n’attendait que l’instant
d’éclater. Fanatique du bien public et de la raison d’État, l’affaire des
Templiers était son affaire, et il y apportait une passion qui ne connaissait
ni limite ni repos. C’était d’ailleurs à ce procès du Temple que Guillaume de
Nogaret devait, depuis la Saint-Maurice de l’an 1307, sa haute charge dans
l’État.
    Ce jour-là, au cours d’un conseil
qui se tenait à Maubuisson, l’archevêque de Narbonne, Gilles Aycelin, alors
garde des Sceaux royaux, s’était refusé, tragiquement, à apposer ceux-ci sur
l’ordonnance d’arrestation des Templiers. Philippe le Bel, sans un mot, avait
pris les sceaux des mains de l’archevêque pour les mettre devant Nogaret,
faisant de ce légiste le second personnage de l’administration royale.
    Nogaret était ardent, austère, et
implacable comme la faux de la mort. Osseux, noir, le visage en longueur, il
tripotait sans cesse quelque partie de son vêtement ou bien rongeait l’ongle
d’un de ses doigts plats.
    — Sire, la chose monstrueuse,
la chose horrible à penser et terrible à entendre qui vient de se produire,
commença-t-il d’un ton à la fois emphatique et précipité, prouve que toute
indulgence, toute clémence accordée à des suppôts du Diable, est une faiblesse
qui se renverse contre vous.
    — Il est vrai, dit Philippe le
Bel en se tournant vers Valois, que la clémence que vous m’avez conseillée, mon
frère, et que ma fille d’Angleterre m’a demandée par message, ne semble guère
porter de bons fruits… Continuez, Nogaret.
    — On laisse à ces chiens
pourris une vie qu’ils ne méritent pas ; au lieu de bénir leurs juges, ils
en profitent pour insulter aussitôt et l’Église et le roi. Les Templiers sont
des hérétiques…
    — Étaient… laissa tomber
Charles de Valois.
    — Vous dites, Monseigneur ?
demanda Nogaret, impatient.
    — Je dis étaient, messire, car
si j’ai bonne mémoire, sur les milliers qu’ils se comptaient en France, et que
vous avez bannis, ou claustrés, ou roués, ou rôtis, il ne vous en reste plus
que quatre entre les mains… assez embarrassants, je vous l’accorde, puisque
après sept ans de procédure ils viennent encore clamer leur innocence ! Il
semble que naguère, messire de Nogaret, vous alliez plus vite en besogne,
lorsque vous saviez, d’un seul soufflet, faire disparaître un pape.
    Nogaret frémit, et la peau de son
visage devint plus foncée sous le poil bleu de sa barbe. Car il demeurait
l’homme qui avait conduit, jusqu’au cœur du Latium, la sinistre expédition
destinée à déposer le vieux Boniface VIII, et au bout de laquelle ce pape
de quatre-vingt-huit ans avait été giflé sous la tiare pontificale. Nogaret
s’était vu, en retour, frappé d’excommunication, et il avait fallu tout le
pouvoir de Philippe le Bel sur Clément V, deuxième successeur de Boniface,
pour obtenir la levée de la sentence. Cette pénible affaire n’était pas
tellement ancienne ; elle ne datait que de onze ans ; et les
adversaires de Nogaret ne manquaient jamais l’occasion de la lui rappeler.
    — Nous savons, Monseigneur,
répliqua-t-il, que vous avez toujours appuyé les Templiers. Sans doute
comptiez-vous sur eux pour reconquérir, fût-ce à la grand-ruine de la France,
ce trône fantôme de Constantinople sur lequel il apparaît que vous ne vous êtes
guère assis.
    Il avait rendu outrage pour outrage,
et son teint reprit une meilleure couleur.
    — Tonnerre ! s’écria
Valois en se dressant et en renversant son siège derrière lui.
    Un aboiement, parti de dessous la
table, fit sursauter les assistants, sauf Philippe le Bel, et éclater de rire
nerveusement Louis de Navarre. L’aboiement venait du grand lévrier que le roi
avait gardé près de lui, et qui n’était pas encore habitué à ces éclats.
    — Louis… taisez-vous, dit
Philippe le Bel en posant sur son fils un regard glacé.
    Puis il claqua des doigts en
disant : « Lombard… à bas ! » et ramena contre sa cuisse la
tête du chien.
    Louis de Navarre, que l’on
commençait à surnommer Louis Hutin, c’est-à-dire le Disputeur et le Confus,
Louis la Brouille, baissa le nez pour étouffer son fou rire. Il avait
vingt-cinq ans, mais pour la cervelle il n’en comptait pas quinze. Il montrait
quelques traits de ressemblance physique avec son père, mais son regard

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