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Le Roi de fer

Le Roi de fer

Titel: Le Roi de fer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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neveu, dit Charles de
Valois à Louis Hutin, nous aurons assisté ce jour à la fin de la chevalerie.
     

VII

LA TOUR DES AMOURS
    La nuit était tombée. Un vent faible
charriait des odeurs de terre mouillée, de vase, de sève en travail, et
chassait de gros nuages noirs dans le ciel sans étoiles.
    Une barque qui venait de quitter la
rive, à hauteur de la tour du Louvre, avançait sur la Seine dont l’eau luisait
comme un bouclier bien graissé.
    Deux passagers étaient assis à
l’arrière de la barque, le pan de leur manteau rejeté sur l’épaule.
    — Un vrai temps de mécréant, ce
jour d’hui, dit le batelier qui pesait lentement sur ses rames. Au matin on se
réveille avec une brume qu’on n’y voyait pas à deux toises. Et puis sur tierce [12] ,
voilà le soleil qui se montre ; alors on pense : le printemps est en
route. Pas plus tôt dit, c’est les giboulées qui recommencent pour toute la
vesprée. À présent, le vent vient de se lever, et qui va forcer, pour sûr… Un
temps de mécréant.
    — Plus vite, bonhomme, dit l’un
des passagers.
    — On fait du mieux qu’on peut.
C’est que je suis vieux, vous savez ; cinquante-trois à la Saint-Michel,
j’aurai. Je ne suis plus fort comme vous l’êtes, mes jeunes seigneurs, répondit
le batelier.
    Il était vêtu de loques et
paraissait se complaire à prendre un ton geignard.
    À distance, vers la gauche, on
voyait des lumières sautiller sur l’îlot des Juifs, et, plus loin, les fenêtres
allumées du Palais de la Cité. Il y avait grand mouvement de barques de ce
côté-là.
    — Alors, mes gentilshommes,
vous n’allez donc point voir griller les Templiers ? reprit le batelier.
Il paraît que le roi y sera, avec ses fils. C’est-il vrai ?
    — Il paraît, fit le passager.
    — Et les princesses, y
seront-elles de même ?
    — Je ne sais pas… sans doute,
dit le passager en détournant la tête pour signifier qu’il ne tenait pas à
poursuivre la conversation.
    Puis, à son compagnon, il dit à voix
basse :
    — Ce bonhomme ne me plaît pas,
il parle trop.
    Le second passager haussa les
épaules avec indifférence. Puis, après un silence, il chuchota :
    — Comment as-tu été
prévenu ?
    — Par Jeanne, comme toujours.
    — Chère comtesse Jeanne, que de
grâces nous lui devons.
    À chaque coup de rame, la tour de
Nesle se rapprochait, haute masse noire dressée contre le ciel noir.
    — Gautier, reprit le premier
passager en posant la main sur le bras de son voisin, ce soir je suis heureux.
Et toi ?
    — Moi aussi, Philippe, je me
sens bien aise.
    Ainsi parlaient les deux frères
d’Aunay, se dirigeant vers le rendez-vous que Blanche et Marguerite leur
avaient donné aussitôt qu’elles avaient su que leurs époux seraient absents
pour la soirée. Et c’était la comtesse de Poitiers, serviable une fois de plus
aux amours des autres, qui s’était chargée du message.
    Philippe d’Aunay avait peine à
contenir sa joie. Toutes ses alarmes du matin étaient effacées, tous ses
soupçons lui paraissaient vains. Marguerite l’avait appelé ; Marguerite
l’attendait ; dans quelques instants il tiendrait Marguerite entre ses
bras, et il se jurait d’être l’amant le plus tendre, le plus gai, le plus
ardent qui se puisse trouver.
    La barque aborda au talus dans
lequel s’enfonçaient les assises de la Tour. La dernière crue du fleuve y avait
laissé une couche de vase.
    Le passeur tendit le bras aux deux
jeunes gens pour les aider à prendre pied.
    — Alors, bonhomme, c’est bien
convenu, lui dit Gautier d’Aunay ; tu nous attends sans t’éloigner, et
sans te laisser voir.
    — Toute la vie si vous voulez,
mon jeune seigneur, du moment que vous me payez pour cela, répondit le passeur.
    — La moitié de la nuit sera
assez, dit Gautier.
    Il lui donna un sou d’argent, douze
fois plus que ne valait la course, et lui en promit autant pour le retour. Le
passeur salua bien bas.
    Prenant garde à ne pas glisser ni
trop se crotter, les deux frères franchirent les quelques pas qui les
séparaient d’une poterne à laquelle ils frappèrent selon un signal convenu. La
porte s’entrouvrit. Une chambrière qui tenait un lumignon au poing leur livra
passage et, après avoir rebarricadé la porte, les précéda dans un escalier à
vis.
    La grande pièce ronde où elle les
fit pénétrer n’était éclairée que par les lueurs du feu, dans la cheminée à
hotte. Et ces lueurs allaient se perdre dans

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