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Le Roi de fer

Le Roi de fer

Titel: Le Roi de fer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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s’écria Blanche, je ne
veux pas que mon bel amant soit moins aimé et moins paré que le tien.
    Et elle délia son aumônière, que
Gautier accepta sans peine ni gêne, puisque son frère l’avait fait.
    Marguerite regarda Philippe d’un air
qui signifiait : « Ne te l’avais-je pas dit ? »
    Philippe lui sourit. Il ne pourrait
jamais la deviner, ni se l’expliquer. Était-ce la même femme qui, le matin,
cruelle, coquette, perfide, s’ingéniait à le faire défaillir de jalousie, et
qui maintenant, lui offrant un cadeau de vingt livres, se tenait entre ses
bras, soumise, tendre, presque tremblante ?
    — Si je t’aime si fort,
murmura-t-il, je crois bien que c’est parce que je ne te comprends pas.
    Aucun compliment ne pouvait toucher
davantage Marguerite. Elle en remercia Philippe en enfouissant les lèvres dans
son cou. Puis, se dégageant, et l’oreille soudain attentive, elle
s’écria :
    — Entendez-vous ? Les
Templiers… On les amène-au bûcher.
    Le regard brillant, le visage animé
d’une curiosité trouble, elle entraîna Philippe Vers la fenêtre, haute
meurtrière taillée en biais dans l’épaisseur du mur, et elle ouvrit l’étroit
vitrail.
    Une grande rumeur de foule pénétra
dans la pièce.
    — Blanche, Gautier, venez
voir ! dit Marguerite.
    Mais Blanche répondit, dans un
gémissement heureux :
    — Ah ! Non, je ne veux
bouger d’ici ; je suis trop bien.
    Entre les deux princesses et leurs
amants, toute pudeur était depuis longtemps abolie, et ils avaient accoutumé de
se livrer les uns devant les autres à tous les jeux de la passion. Si Blanche
parfois détournait les yeux, et réfugiait sa nudité dans les coins d’ombre,
Marguerite, au contraire, prenait un surcroît de plaisir à contempler l’amour
des autres, comme à s’offrir à leurs regards.
    Mais pour l’instant, collée à la
fenêtre, elle était retenue par le spectacle qui se déroulait au milieu de la
Seine. Là-bas, sur l’île aux Juifs, cent archers disposés en cercle élevaient
des torches allumées ; et la flamme de toutes ces torches, vacillant dans
le vent, formait une grotte de clarté où l’on voyait nettement l’immense bûcher
et les aides-bourreaux qui escaladaient les piles de rondins. En deçà des
archers, l’îlot, simple prairie où l’on menait d’ordinaire paître vaches et
chèvres, était couvert d’une foule pressée ; et une nuée de barques
sillonnaient le fleuve, chargées de gens qui voulaient assister au supplice.
    Partie de la rive droite, une
barque, plus lourde que les autres et montée par des hommes d’armes debout,
venait d’accoster à l’îlot. Deux hautes silhouettes grises, coiffées d’étranges
chapeaux, en descendirent. Devant elles, se profilait une croix. Alors la
rumeur de la foule grossit, devint clameur.
    Presque au même instant, une loggia
s’éclaira dans une tour, dite de l’Eau, bâtie à la pointe du jardin du Palais.
Bientôt l’on vit des ombres se profiler dans cette loggia. Le roi et son
Conseil venaient d’y prendre place.
    Marguerite éclata de rire, d’un long
rire modulé, cascadant, qui n’en finissait pas.
    — Pourquoi ris-tu ?
demanda Philippe.
    — Parce que Louis est là-bas,
répondit-elle, et que, s’il faisait jour, il pourrait me voir.
    Ses yeux luisaient ; ses
boucles noires dansaient sur son front bombé. D’un mouvement rapide, elle fit
surgir hors de sa robe ses belles épaules ambrées, et laissa choir ses
vêtements à terre comme si elle avait voulu, à travers la distance et la nuit,
narguer le mari qu’elle détestait. Elle attira sur ses hanches les mains de
Philippe.
    Au fond de la salle, Blanche et
Gautier étaient étendus l’un près de l’autre, dans un enlacement indistinct, et
le corps de Blanche avait des reflets de nacre.
    Là-bas, au milieu du fleuve, la
clameur croissait. On liait les Templiers sur le bûcher auquel, dans un
instant, on mettrait le feu.
    Marguerite frissonna sous l’air
nocturne, et se rapprocha de la cheminée. Elle resta un moment à regarder
fixement le foyer, s’exposant à l’ardeur des braises jusqu’à ce que la caresse
de la chaleur devînt insupportable. Les flammes moiraient sa peau de lueurs
dansantes.
    — Ils vont brûler, ils vont
griller, dit-elle d’une voix haletante et rauque, et nous pendant ce temps…
    Ses yeux cherchaient dans le cœur du
feu d’infernales images pour nourrir son plaisir.
    Elle se retourna brusquement,
faisant

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