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Le Roi de fer

Le Roi de fer

Titel: Le Roi de fer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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face à Philippe, et s’offrit à lui, debout, comme les nymphes de la
légende s’offraient au désir des faunes.
    Sur le mur, leur ombre se projetait,
immense, jusqu’aux voûtes du plafond.
     

VIII

« JE CITE AU TRIBUNAL DE DIEU…»
    Le jardin du Palais n’était séparé de
l’île aux Juifs que par un mince bras du fleuve¹². Le bûcher avait été dressé
de manière à faire face à la loggia royale de la tour de l’Eau.
    Les curieux ne cessaient d’affluer
sur les deux berges boueuses de la Seine, et l’îlot lui-même disparaissait sous
le piétinement de la foule. Les passeurs, ce soir, faisaient fortune.
    Mais les archers étaient bien
alignés ; les sergents truffaient les rassemblements ; des piquets
d’hommes d’armes avaient été postés sur les ponts et aux issues de toutes les
rues qui aboutissaient à la rive.
    — Marigny, vous pourrez
complimenter le prévôt, dit le roi à son coadjuteur.
    L’agitation, dont on avait pu
redouter le matin qu’elle ne tournât à la révolte, s’achevait en fête
populaire, en liesse foraine, en divertissement tragique offert par le roi à sa
capitale. Il régnait une atmosphère de kermesse. Des truands se mêlaient aux
bourgeois qui s’étaient dérangés en famille ; les « filles
follieuses » étaient accourues, fardées et teintes, des ruelles, derrière
Notre-Dame, où elles exerçaient leur commerce. Des gamins se faufilaient entre
les pieds des gens pour gagner les premiers rangs. Quelques Juifs, serrés en
groupes timides, la rouelle jaune sur leur manteau, étaient venus regarder ce
supplice dont, pour une fois, ils ne faisaient pas les frais. Et de belles
dames en surcots fourrés, quêteuses d’émotions fortes, se serraient contre
leurs galants en poussant de petits cris nerveux.
    L’air était presque froid ; le
vent soufflait par courtes rafales. La lueur des torches répandait sur le
fleuve des marbrures rouges.
    Messire Alain de Pareilles, chapeau
de fer en tête, l’air ennuyé comme toujours, se tenait à cheval, en avant de
ses archers.
    Autour du bûcher, dont la hauteur
dépassait la taille d’un homme, les bourreaux et leurs aides, encapuchonnés de
rouge, s’affairaient, rectifiaient l’alignement des rondins, préparaient les
fagots de réserve, avec le souci du travail bien fait.
    Au sommet du bûcher, le grand-maître
des Templiers et le précepteur de Normandie étaient déjà liés, côte à côte, à
leurs poteaux. On leur avait mis sur la tête l’infamante mitre de papier des
hérétiques.
    Un moine tendait vers leurs visages
un crucifix à longue hampe, et leur adressait ses dernières exhortations. La
foule fit silence, pour entendre le moine.
    — Dans un instant vous allez
comparaître devant Dieu. Il est temps encore de confesser vos fautes et de vous
repentir… Je vous en adjure pour la dernière fois…
    Là-haut, les condamnés, immobiles
entre ciel et terre et la barbe tordue par le vent, ne répondirent pas.
    — Ils refusent de se
confesser ; ils ne se repentent point, murmura-t-on dans l’assistance.
    Le silence devint plus dense, plus
profond. Le moine s’était agenouillé au pied du bûcher, et récitait les prières
en latin. Le maître bourreau prit de la main d’un de ses aides le brandon
d’étoupe allumée qu’il fit tournoyer plusieurs fois pour en aviver la flamme.
    Un enfant se mit à pleurer et l’on
entendit claquer le bruit d’une gifle.
    Alain de Pareilles se tourna vers la
loggia royale comme s’il demandait un ordre ; tous les regards, toutes les
têtes se dirigèrent du même côté. Et toutes les respirations restèrent en
suspens.
    Philippe le Bel était debout contre
la balustrade, avec les membres de son Conseil alignés de part et d’autre de sa
personne, et formant sous la lumière des torches comme un bas-relief au flanc
de la tour.
    Les condamnés eux-mêmes avaient levé
les yeux vers la loggia. Le regard du roi et celui du grand-maître se
croisèrent, se mesurèrent, s’accrochèrent, se retinrent.
    Personne ne pouvait savoir quelles
pensées, quels sentiments, quels souvenirs roulaient sous le front des deux
ennemis. Mais la foule perçut instinctivement que quelque chose de grandiose,
de terrible, de surhumain était en train de se jouer dans cet affrontement muet
entre ces deux princes de la terre, l’un tout-puissant, l’autre qui l’avait
été.
    Le grand-maître du Temple allait-il
enfin s’humilier et demander pitié ? Et le roi

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