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Le Roi de fer

Le Roi de fer

Titel: Le Roi de fer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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appartements
pontificaux. Là, le vieux pape de quatre-vingt-huit ans, tiare en tête, croix
en main, seul dans une immense salle désertée, voyait entrer cette horde en
armures. Sommé d’abdiquer, il répondait : « Voilà mon cou, voilà ma
tête ; je mourrai, mais je mourrai pape. » Sciarra Colonna le giflait
de son gantelet de fer. Et Boniface lançait à Nogaret : « Fils de
Cathare ! Fils de Cathare ! ».
    — J’ai empêché qu’on ne le
tuât, gémit Nogaret.
    Il plaidait encore. Mais bientôt il
se mit à sangloter, comme avait sangloté Boniface jeté au bas de son
trône ; il était de nouveau à la place de l’autre…
    La raison du vieux pape n’avait pas
résisté à l’attentat et à l’outrage. Tandis qu’on le ramenait à Rome, Boniface
continuait de pleurer comme un enfant. Puis il était tombé dans une démence
furieuse, insultant quiconque l’approchait, et se traînant à quatre pattes dans
la chambre où on le gardait. Un mois plus tard il mourait en repoussant, dans
une crise de rage, les derniers sacrements…
    Penché sur Nogaret et multipliant
les signes de croix, le frère dominicain ne comprenait pas pourquoi l’ancien
excommunié s’obstinait à refuser une extrême-onction qu’il avait reçue quelques
heures plus tôt.
    Bouville partit. Le barbier, se
sachant inutile jusqu’au moment où il aurait à procéder à la toilette funéraire,
s’était endormi sur son siège et dodelinait la tête. Le dominicain de temps à
autre abandonnait son chapelet pour moucher la chandelle.
    Vers quatre heures du matin les
lèvres de Nogaret articulèrent faiblement :
    — Pape Clément… chevalier
Guillaume… roi Philippe…
    Ses grands doigts bruns et plats
grattaient le drap.
    — Je brûle, dit-il encore.
    Puis les fenêtres devinrent grises
de la timide lueur de l’aube, et une cloche tinta, de l’autre côté de la Seine.
Les serviteurs remuèrent dans le vestibule. L’un deux entra, traînant les
pieds, et vint ouvrir une croisée. Paris sentait le printemps et les feuilles.
La ville s’éveillait dans une rumeur confuse.
    Nogaret était mort et un filet de
sang séchait sous ses narines. Le frère de saint Dominique dit :
    — Dieu l’a pris !
     

III

LES DOCUMENTS D’UN RÈGNE
    Une heure après que Nogaret eut rendu
l’âme, messire Alain de Pareilles, accompagné de Maillard, le secrétaire du
roi, vint se saisir de tous les documents, pièces et dossiers qui se trouvaient
en la demeure du garde des Sceaux.
    Puis le roi lui-même fit une
dernière visite à son ministre. Il ne resta devant le corps qu’un temps assez
bref. Ses yeux pâles fixaient le mort, sans ciller, comme lorsqu’il lui posait
sa question habituelle : « Votre conseil, Nogaret ? » Et il
semblait déçu de ne plus avoir réponse.
    Philippe le Bel, ce matin-là,
n’accomplit point sa quotidienne promenade à travers les rues et les marchés.
Il rentra directement au Palais où il commença, aidé de Maillard, l’examen des
dossiers pris chez Nogaret et qu’on avait déposés dans son cabinet.
    Bientôt, Enguerrand de Marigny se
présenta chez le roi. Le souverain et son coadjuteur se regardèrent, et le
secrétaire sortit.
    — Le pape, au bout d’un mois…
dit le roi. Et un mois après, Nogaret…
    Il y avait de l’angoisse, presque de
la détresse, dans la façon dont il avait prononcé ces mots. Marigny s’assit sur
le siège que le souverain lui désignait. Il resta un moment silencieux, puis
dit :
    — Certes, ce sont d’étranges
coïncidences, Sire. Mais de semblables choses arrivent sans doute chaque jour,
dont nous ne sommes pas frappés parce que nous les ignorons.
    — Nous avançons en âge,
Enguerrand. C’est une malédiction suffisante.
    Il avait quarante-six ans, Marigny
quarante-neuf. Peu d’hommes, à cette époque, atteignaient la cinquantaine.
    — Il faut faire tri de tout
ceci, reprit le roi en montrant les dossiers.
    Ils se mirent au travail. Une partie
des pièces seraient déposées aux Archives du royaume, dans le Palais même [22] .
D’autres, qui concernaient des affaires en cours, seraient conservées par
Marigny ou remises à ses légistes ; d’autres enfin, par prudence, iraient
au feu.
    Le silence régnait dans le cabinet,
à peine troublé par les cris lointains des marchands et la rumeur de Paris.
    Le roi se penchait sur les liasses
ouvertes. C’était tout son règne qu’il voyait repasser devant lui, vingt-neuf
années

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