Le Roi de fer
régions prospères n’acceptaient pas de diriger leurs
excédents vers les régions pauvres. On disait volontiers : « Trop de
sergents, et pas assez de froment. » On refusait de payer les impôts, et
l’on se révoltait contre les prévôts et les receveurs de finances. À la faveur
de cette crise, les ligues de barons, en Bourgogne et en Champagne, se
reconstituaient pour soutenir de vieilles prétentions féodales. Robert
d’Artois, mettant à profit le scandale des princesses royales et le
mécontentement général, recommençait à fomenter des troubles sur les terres de
la comtesse Mahaut.
— Mauvais printemps pour le
royaume, dit un jour Philippe le Bel devant Monseigneur de Valois.
— Nous sommes dans la
quatorzième année du siècle, mon frère, répondit Valois, une année que le sort
a toujours marquée pour le malheur.
Il rappelait par là une troublante
constatation faite à propos des années 14, au cours des âges : 714, invasion
des musulmans d’Espagne ; 814, mort de Charlemagne et déchirement de son
empire ; 914, invasion des Hongrois, accompagnée de la grande
famine ; 1114, perte de la Bretagne ; 1214, la coalition
d’Othon IV, vaincue de justesse à Bouvines… une victoire au bord de la
catastrophe. Seule, l’année 1014 manquait à l’appel des drames.
Philippe le Bel regarda son frère
comme s’il ne le voyait pas. Il laissa tomber la main sur le cou du lévrier
Lombard, qu’il caressa à rebrousse-poil.
— Or le malheur cette fois, mon
frère, est le produit de votre mauvais entourage, reprit Charles de Valois.
Marigny ne connaît plus de mesure. Il use de la confiance que vous lui faites
pour vous tromper, et vous engager toujours plus avant dans la voie qui le sert
mais qui nous perd. Si vous aviez écouté mon conseil dans la question de
Flandre…
Philippe le Bel haussa les épaules,
d’un mouvement qui voulait dire : « À cela, je ne puis rien. »
Les difficultés avec la Flandre
resurgissaient, périodiquement. Bruges la riche, irréductible, encourageait les
soulèvements communaux. Le comté de Flandre, de statut mal défini, refusait
d’appliquer la loi générale. De traités en dérobades, de négociations en
révoltes, cette affaire flamande était une plaie inguérissable à l’épaule du
royaume. Que restait-il de la victoire de Mons-en-Pévèle ? Une fois
encore, il allait falloir employer la force.
Mais la levée d’une armée exigeait
des fonds. Et si l’on repartait en campagne, le compte du Trésor dépasserait
sans doute celui de 1299, demeuré dans les mémoires comme le plus élevé que le
royaume eût connu : 1 642 649 livres de dépenses, accusant un
déficit de près de 70 000 livres. Or, depuis quelques années, les recettes
ordinaires s’équilibraient autour de 500 000 livres. Où trouver la
différence ?
Marigny, contre l’avis de Charles de
Valois, fit alors convoquer une assemblée populaire pour le 1 er août
1314, à Paris. Il avait déjà eu recours à de pareilles consultations, mais
surtout à l’occasion des conflits avec la papauté. C’était en aidant le pouvoir
royal à se dégager de l’obédience au Saint-Siège que la bourgeoisie avait
conquis son droit de parole. Maintenant, on demandait son approbation en
matière de finances.
Marigny prépara cette réunion avec
le plus grand soin, envoyant dans les villes messagers et secrétaires,
multipliant entrevues, démarches, promesses.
L’Assemblée se tint dans la Galerie
mercière dont les boutiques, ce jour-là, furent fermées. Une grande estrade
avait été dressée où s’installèrent le roi, les membres de son Conseil, ainsi
que les pairs et les principaux barons.
Marigny prit la parole, debout, non
loin de son effigie de marbre, et sa voix semblait plus assurée encore qu’à
l’accoutumée, plus certaine d’exprimer la vérité du royaume. Il était sobrement
vêtu ; il avait, de l’orateur, la prestance et le geste. Son discours,
dans la forme, s’adressait au roi ; mais il le prononçait tourné vers la
foule qui, de ce fait, se sentait un peu souveraine. Dans l’immense nef à deux
voûtes, plusieurs centaines d’hommes, venus de toute la France, écoutaient.
Marigny expliqua que si les vivres
se faisaient rares, donc plus chers, on ne devait point s’en montrer trop
surpris. La paix qu’avait maintenue le roi Philippe favorisait l’accroissement
en nombre de ses sujets. « Nous mangeons le même blé, mais nous
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