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Le Roi de fer

Le Roi de fer

Titel: Le Roi de fer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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est mieux respectée si
elle compte un saint.
    — Mais fallait-il, dans la
suite, employer la force contre Boniface ?
    — Il était sur le point de vous
excommunier, Sire, parce que vous ne pratiquiez point dans vos États la
politique qu’il voulait. Vous n’avez pas manqué au devoir des rois. Vous êtes
resté à la place où Dieu vous avait mis, et vous avez proclamé que vous ne
teniez votre royaume de personne, fors de Dieu.
    Philippe le Bel désigna un long
parchemin.
    — Et les Juifs ? N’en
avons-nous pas brûlé trop ? Ils sont créatures humaines, souffrantes et
mortelles comme nous. Dieu ne l’ordonnait pas.
    — Vous avez suivi l’exemple de
Saint Louis, Sire ; et le royaume avait besoin de leurs richesses.
    Le royaume, le royaume, sans cesse
le royaume. « Il le fallait, pour le royaume… Nous le devons, pour le
royaume…»
    — Saint Louis aimait la foi et
la grandeur de Dieu. Moi, qu’ai-je donc aimé ? dit Philippe le Bel à voix
basse.
    — La justice, Sire, la justice
qui est nécessaire au commun bien, et qui frappe tous ceux qui ne suivent pas
le train du monde.
    — Ceux qui ne suivent pas le
train du monde ont été nombreux le long de mon règne, et ils seront nombreux
encore si tous les siècles se ressemblent.
    Il soulevait les dossiers de Nogaret
et les reposait sur la table, l’un après l’autre.
    — Le pouvoir est chose amère,
dit-il.
    — Rien n’est grand, Sire, qui
n’ait sa part de fiel, répondit Marigny, et le Seigneur Christ l’a su. Vous
avez régné grandement. Songez que vous avez réuni à la couronne Chartres,
Beaugency, la Champagne, la Bigorre, Angoulême, la Marche, Douai, Montpellier,
la Comté-Franche, Lyon, et une part de Guyenne. Vous avez fortifié vos villes,
comme votre père Monseigneur Philippe III le souhaitait, pour qu’elles ne
soient plus à la merci d’autrui, du dehors comme du dedans… Vous avez refait la
loi d’après les lois de l’ancienne Rome. Vous avez donné au Parlement sa règle
pour qu’il rende de meilleurs arrêts. Vous avez octroyé à beaucoup de vos
sujets la bourgeoisie du roi [23] .
Vous avez affranchi des serfs dans maints bailliages et sénéchaussées. Non,
Sire, c’est à tort que vous craignez d’avoir erré. D’un royaume partagé, vous
avez fait un pays qui commence à n’avoir qu’un seul cœur.
    Philippe le Bel se leva. La
conviction sans faille de son coadjuteur le rassurait, et il s’appuyait sur
elle pour lutter contre une faiblesse qui n’était pas dans sa nature.
    — Peut-être dites-vous vrai,
Enguerrand. Mais si le passé vous satisfait, que dites-vous du présent ?
Hier des gens ont dû être tenus au calme par les archers, rue Saint-Merri.
Lisez ce qu’écrivent les baillis de Champagne, de Lyon et d’Orléans. Partout on
crie, partout on se plaint du renchérissement du blé et des maigres salaires.
Et ceux-là qui crient, Enguerrand, ne peuvent comprendre que ce qu’ils
réclament, et que je voudrais leur donner, dépend du temps et non de ma
volonté. Ils oublieront mes victoires pour ne se souvenir que de mes impôts, et
l’on m’accablera de ne point les avoir nourris, du temps qu’ils vivaient…
    Marigny écoutait, plus inquiet
maintenant des paroles du roi que de ses silences. Jamais il ne l’avait entendu
avouer de semblables incertitudes, ni manifester un tel découragement.
    — Sire, dit-il, il faut que
nous décidions en plusieurs matières.
    Philippe le Bel regarda encore un
instant, épars sur la table, les documents de son règne. Puis il se redressa,
comme s’il venait de se donner un ordre.
    — Oui, Enguerrand, dit-il, il
faut.
    Le propre des hommes forts n’est pas
d’ignorer les hésitations et les doutes qui sont le fonds commun de la nature
humaine, mais seulement de les surmonter plus rapidement.
     

IV

L’ÉTÉ DU ROI
    Avec la mort de Nogaret, Philippe le
Bel parut avoir pénétré dans un pays où personne ne pouvait le rejoindre. Le
printemps réchauffait la terre et les maisons ; Paris vivait dans le
soleil ; mais le roi était comme exilé dans un hiver intérieur. La
prophétie du grand-maître ne quittait plus guère son esprit.
    Souvent, il partait pour l’une de
ses résidences de campagne, où il suivait de longues chasses, sa seule
distraction apparente. Mais il était vite rappelé à Paris par des rapports alarmants.
La situation alimentaire, dans le royaume, était mauvaise. Le coût des vivres
augmentait ; les

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