Le Roi de fer
treize livres.
— Pourquoi les treize
livres ? lui demanda-t-on.
— Perportar loro scarogna [28] .
— Peruzzi, combien peux-tu
faire ? demanda Tolomei. Peruzzi calculait.
— Je vais te dire… dans un
moment, répondit-il.
— Et toi, Salimbene ?
Les Génois, autour de Salimbene et
de Buonsignori, avaient la mine d’hommes à qui l’on arrache un morceau de
chair. Ils étaient connus pour être les plus retors en affaires. On disait
d’eux : « Si un Génois te regarde seulement la bourse, elle est déjà
vide. » Pourtant, ils s’exécutèrent. Certains des assistants se
confiaient :
— Si Tolomei réussit à nous
tirer de là, c’est lui un jour qui succédera à Boccanegra.
Tolomei s’approcha des deux Bardi
qui parlaient bas avec Boccace.
— Combien faites-vous, pour
votre compagnie ?
L’aîné des Bardi sourit :
— Autant que toi, Spinello.
L’œil gauche du Siennois s’ouvrit.
— Alors, ce sera le double de
ce que tu pensais.
— Ce serait encore bien plus
lourd de tout perdre, dit le Bardi en haussant les épaules. N’est-ce pas vrai,
Boccacio ?
Celui-ci inclina la tête. Mais il se
leva pour prendre Guccio à part. Leur rencontre sur la route de Londres avait
établi entre eux des liens d’amitié.
— Est-ce que ton oncle a
vraiment le moyen de briser le cou d’Enguerrand ?
Guccio, de son air le plus sérieux,
répondit :
— Je n’ai jamais entendu mon
oncle faire une promesse qu’il ne pouvait tenir.
Quand on leva la séance, le Salut
était achevé dans les églises, et la nuit tombait sur Paris. Les trente
banquiers sortirent de l’hôtel Tolomei. Éclairés par les torches que tenaient
leurs valets, ils se raccompagnèrent de porte en porte, à travers le quartier
des Lombards, formant dans les rues sombres une étrange procession de la
fortune menacée, la procession des pénitents de l’or.
Dans son cabinet, Spinello Tolomei,
seul avec Guccio, faisait le total des sommes promises, comme on compte des
troupes avant une bataille. Quand il eut terminé, il sourit. L’œil mi-clos, les
mains nouées sur les reins, regardant le feu où les bûches devenaient cendre,
il murmura :
— Messire de Marigny, vous
n’avez pas encore vaincu.
Puis, à Guccio :
— Et si nous réussissons, nous
demanderons de nouveaux privilèges en Flandre.
Car, si près du désastre, Tolomei
songeait déjà, s’il l’évitait, à en tirer profit. Il se dirigea vers son
coffre, l’ouvrit.
— La décharge signée par
l’archevêque, dit-il en prenant le document. Si l’on venait à nous faire ce
qu’on fit aux Templiers, je préférerais que les sergents de messire Enguerrand
ne la puissent trouver ici. Tu vas sauter sur le meilleur cheval, et partir
aussitôt pour Neauphle, où tu mettras ceci en cache, dans notre comptoir. Tu
resteras là-bas.
Il regarda Guccio bien en face, et
ajouta gravement :
— S’il m’arrivait quelque
malheur…
Tous deux firent les cornes avec
leurs doigts, et touchèrent du bois.
— … tu remettrais cette
pièce à Monseigneur d’Artois, pour qu’il la remette au comte de Valois, lequel
en saurait faire bon usage. Sois défiant, car le comptoir de Neauphle ne sera
pas non plus à l’abri des archers…
— Mon oncle, mon oncle, dit
vivement Guccio, j’ai une idée. Plutôt que de loger au comptoir, je pourrais
aller à Cressay dont les châtelains restent nos obligés. Je leur ai naguère été
fort secourable, et nous avons toujours créance sur eux. J’imagine que la
fille, si les choses n’ont point changé, ne refusera pas de m’aider.
— C’est bien pensé, dit
Tolomei. Tu mûris, mon garçon ! Chez un banquier, le bon cœur doit
toujours servir à quelque chose… Fais donc ainsi. Mais puisque tu as besoin de
ces gens, il te faut arriver avec des cadeaux. Emporte quelques aunes d’étoffe,
et de la dentelle de Bruges, pour les femmes. Il y a aussi deux garçons,
m’as-tu dit ? Et qui aiment à chasser ? Prends les deux faucons qui
nous sont arrivés de Milan.
Il retourna au coffre.
— Voici quelques billets
souscrits par Monseigneur d’Artois, reprit-il. Je pense qu’il ne refuserait pas
de t’aider, si le besoin s’en faisait sentir. Mais son appui sera encore plus
sûr si tu lui présentes ta requête d’une main et ses comptes de l’autre… Et
voici la créance du roi Edouard… Je ne sais pas, mon neveu, si tu seras riche
avec tout cela, mais au moins tu pourras te
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