Le Roi de l'hiver
et
s’enferma un long moment en sa compagnie.
Le lendemain
matin, Arthur apparut avec un visage sévère et impassible pour annoncer que
nous partions tous le matin même. Dans l’heure, en fait. Nous devions rester
encore deux jours, et Gorfyddyd, Cuneglas et Ceinwyn durent être
surpris, mais Arthur les persuada qu’il avait besoin d’un délai supplémentaire
pour préparer ses noces et Gorfyddyd accepta assez placidement ses excuses.
Cuneglas a sans doute cru qu’Arthur précipitait son départ pour se soustraire à
la tentation de Guenièvre. Toujours est-il qu’il n’éleva aucune protestation et
demanda qu’on nous préparât du pain, du fromage, du miel et de l’hydromel pour
la route. Ceinwyn, la jolie Ceinwyn, fit ses adieux, en commençant par nous, la
garde. Nous étions tous amoureux d’elle et nous en voulions tous à Arthur de sa
folie, quand bien même notre rancœur ne pouvait servir à grand-chose. Ceinwyn
nous offrit à chacun un peu d’or, et chacun fit mine de refuser, mais elle
insista. Elle me donna une broche aux motifs entrecroisés que j’essayai de lui
remettre dans les mains, mais elle se contenta d’un sourire en refermant mes
doigts sur l’or.
« Veille
sur ton seigneur, dit-elle gravement.
— Et sur
toi », répondis-je avec ferveur.
Elle sourit
puis se dirigea vers Arthur et lui offrit une branche d’aubépine en fleurs, qui
lui assurerait un voyage sûr et rapide. Arthur fixa le rameau à sa ceinture et
baisa la main de sa promise avant de grimper sur le large dos de Llamerei.
Cuneglas voulait envoyer des gardes pour nous escorter, mais Arthur déclina cet
honneur. « Partons, Seigneur Prince, partons au plus vite arranger notre
bonheur. »
Les paroles
d’Arthur réjouirent Ceinwyn et Cuneglas, toujours bienveillant, ordonna qu’on
ouvrit les portes. Tel un homme libéré d’une épreuve, Arthur lança son cheval
au galop à travers le gué encaissé du Severn. Nous autres, les gardes, nous
suivions à pied. Sur les rives de la rivière, nous trouvâmes à terre un rameau
d’aubépine, qu’Agravain ramassa pour éviter que Ceinwyn ne le découvre.
Sansum nous
accompagnait sans qu’on nous eût expliqué pourquoi, mais Agravain subodorait
que Tewdric avait ordonné au prêtre de mettre en garde Arthur contre sa folie.
Une folie qui passerait, espérions-nous dans nos prières, mais nous nous
trompions. La folie était irrémédiable dès l’instant où, promenant ses regards
dans la salle de Gorfyddyd, Arthur avait aperçu la chevelure rousse de
Guenièvre. Sagramor aimait à nous raconter une ancienne bataille dans le vieux
monde ; une bataille dont l’enjeu était une grande cité avec ses tours,
ses palais et ses temples, et toute cette histoire navrante avait commencé à
cause d’une femme, et pour cette femme dix mille guerriers couverts de bronze
avaient mordu la poussière.
Une histoire,
somme toute, pas si ancienne.
Car deux
heures tout juste après que nous eûmes quitté Caer Sws, dans un coin de bois
perdu où aucune ferme ne se dressait, au milieu de collines aux flancs
escarpés, de cours d’eau rapides et de gros arbres au feuillage épais, nous
trouvâmes Leodegan de Henis Wyren qui attendait sur le bord du sentier. Il nous
conduisit sans un mot sur un chemin qui serpentait à travers les racines de
grands chênes pour déboucher sur une clairière à côté d’une mare créée par un
barrage de castors. Les bois étaient couverts de mercuriales vivaces et de lis
tandis que les dernières jacinthes des bois chatoyaient dans les ombres. Le
soleil inondait l’herbe où poussaient des primevères, des fleurs de coucou et
des violettes des chiens et où, avec plus d’éclat qu’aucune fleur, Guenièvre
attendait dans sa robe de lin couleur crème. Elle avait des primevères des
champs dans les cheveux. Elle portait le torque en or d’Arthur, des bracelets
d’argent et une pèlerine de laine couleur lilas. Sa vue suffisait pour prendre
un homme à la gorge. Agravain jura tranquillement.
Arthur mit
pied à terre et courut vers Guenièvre. Il la prit dans ses bras et nous l’entendîmes
rire tandis qu’il la faisait tourbillonner. « Mes fleurs ! »
s’écria-t-elle en se mettant une main sur la tête, et Arthur la déposa
délicatement, puis s’agenouilla pour baiser l’ourlet de sa robe.
S’étant enfin
relevé, il se retourna. « Sansum !
— Seigneur ?
— Tu peux
nous marier maintenant. »
Sansum
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