Le Roi de l'hiver
fusse si ardemment
breton dans ma loyauté, mais depuis ma plus tendre enfance j’avais été élevé
parmi les Bretons, et mes amis, mes amours, ma conversation, mes histoires, mes
inimitiés et mes rêves étaient tous bretons. Mon teint, non plus, n’avait rien
d’inhabituel. Les Romains avaient laissé le pays breton peuplé d’étrangers de
toutes sortes, et ce fou de Pellinore me parla un jour de deux frères qui
étaient noirs comme poix, et tant que je n’eus pas vu Sagramor, le chef numide
d’Arthur, je crus que ces propos n’étaient que balivernes de lunatique.
Sitôt que
Mordred et sa mère arrivèrent, le Tor se peupla car Norwenna vint accompagnée
non seulement de ses servantes, mais aussi d’une troupe de guerriers qui
avaient pour mission de protéger la vie de l’Edling. Nous dormions à quatre ou
cinq par cabane mais, hormis Nimue et Morgane, personne n’était autorisé à
pénétrer dans les appartements privés du château. C’était le domaine de Merlin,
et seule Nimue avait le droit d’y coucher. Norwenna et sa cour vivaient dans la
grande salle, tout enfumée par les deux feux qui y brûlaient nuit et jour. La
salle reposait sur vingt poteaux de chêne, avec des murs en clayonnage enduit
de plâtre et un toit de chaume. Le sol de terre battue était recouvert de
paillasses qui parfois s’embrasaient, provoquant un vent de panique jusqu’à ce
qu’on eût éteint les flammes en les piétinant. Les appartements de Merlin en
étaient séparés par un mur de clayonnage et de plâtre que seule perçait une petite
porte de bois. Nous savions que Merlin dormait, étudiait et rêvait dans ces
chambres dominées, au sommet du Tor, par une tour de bois. Ce qui se passait à
l’intérieur de cette tour était un mystère pour tout le monde, sauf pour
Merlin, Morgane et Nimue, et aucun des trois ne devait jamais l’ébruiter, même
si les campagnards, qui voyaient la Tour de Merlin depuis des kilomètres à la
ronde, l’assuraient encombrée de trésors pris dans les tumulus des Anciens.
Le chef de la
garde de Mordred était un chrétien du nom de Ligessac, un grand gaillard
efflanqué et cupide, qui n’avait pas son pareil au tir à l’arc. Quand il était
sobre, ce qu’il était rarement, il pouvait transpercer une brindille à
cinquante pas. Il m’enseigna son art, mais il se lassait aisément de la
compagnie d’un garçon, à laquelle il préférait les jeux de hasard avec ses
hommes. Il me raconta cependant la véritable histoire de la mort du prince
Mordred et je sus ainsi pourquoi le Grand Roi Uther avait maudit Arthur.
« Ce n’était pas la faute d’Arthur », expliqua Ligessac en lançant un
caillou sur sa planche. Tous les soldats en avaient une, pour certaines
magnifiquement taillées dans un os.
« Six ! »
dit-il tandis que j’attendais l’histoire d’Arthur.
« À
moi ! » s’exclama Menw, l’un des gardes du prince en lançant à son
tour son caillou, qui cliqueta sur les arêtes de la planche et s’arrêta sur un.
Il lui aurait suffi d’un deux pour gagner ! Il envoya promener les
cailloux en jurant.
Ligessac
l’envoya chercher sa bourse pour lui payer ses gains puis me raconta comment
Uther avait rappelé Arthur d’Armorique pour l’aider à défaire une grande armée
de Saxons qui s’étaient aventurés au cœur de notre pays. Arthur avait amené ses
guerriers, expliqua Ligessac, mais aucun de ses célèbres chevaux, car l’appel
était pressant et le temps lui manquait pour trouver assez de vaisseaux pour
ses hommes et leurs montures. « Non qu’il eût besoin de chevaux, reprit
Ligessac d’un ton admiratif, parce qu’il piégea ces bougres de Saxons dans la
Vallée du Cheval Blanc. C’est alors que Mordred se crut plus malin qu’Arthur.
Il voulait s’en voir attribuer tout le mérite, tu comprends ? » D’une
tape sur le nez, Ligessac se débarrassa d’un filet de morve puis jeta un coup
d’œil à l’entour pour s’assurer que personne ne nous épiait.
« Mordred
était ivre, reprit-il à voix basse, et la moitié de ses hommes, nus comme un
ver, tempêtaient et juraient qu’ils pouvaient massacrer un ennemi dix fois
supérieur en nombre. Nous aurions dû attendre Arthur, mais le prince nous
ordonna de charger.
— Tu
étais là ? » demandai-je d’une voix d’adolescent émerveillé.
Il opina du
chef.
« Avec
Mordred. Bon Dieu, mais comme ils se battirent. Ils nous encerclèrent et, en
moins de temps
Weitere Kostenlose Bücher