Le Roi de l'hiver
garde.
— C’est
l’étendard de Gundleus. »
Je lus la
surprise dans les yeux de Nimue car Gundleus était le roi de Silurie, l’allié
du roi Gorfyddyd de Powys, l’ennemi juré de la Dumnonie.
« Tu en
es sûr ?
— C’est
lui qui a pris ma mère et qui m’a jeté dans la fosse aux morts. »
Je crachai
par-dessus la palissade en direction de la douzaine d’hommes qui avaient
entrepris d’escalader le Tor, trop raide pour les chevaux. Parmi eux, se
trouvait Tanaburs, le druide de Gundleus, mon mauvais esprit. C’était un grand
vieillard à la barbe nattée et aux longs cheveux blancs, tonsuré à la manière
des druides et des prêtres chrétiens, c’est-à-dire le front dégagé. À
mi-chemin, il retira son manteau et entreprit une danse protectrice, au cas où
Merlin aurait posté des esprits à la porte. Voyant le vieil homme cabrioler sur
la pente escarpée et chanceler sur une jambe, Nimue cracha au vent et courut
vers les appartements de Merlin. Je me lançai sur ses pas, mais elle me
repoussa, protestant que je ne percevais point le danger.
« Le
danger ? » demandai-je, mais elle était partie. Il ne semblait y
avoir aucun danger, car Bedwin avait ordonné de laisser les portes grandes
ouvertes et, au milieu du désordre et de l’excitation qui régnaient au sommet,
il essayait maintenant d’organiser l’accueil. Hormis Morgane, qui était absente
ce jour-là, interprétant les rêves au temple des collines orientales, tout le
monde se précipitait pour voir les visiteurs. Druidan et Ligessac déployaient
la garde ; Pellinore, nu comme un ver, aboyait après les nuages ; de
sa bouche édentée, Gwendoline crachait des malédictions à l’encontre de Mgr
Bedwin, tandis qu’une douzaine de gamins jouaient des pieds et des mains pour
avoir la meilleure vue des visiteurs. L’accueil était censé être digne, mais
Lunete, une enfant trouvée irlandaise d’un an plus jeune que Nimue, ouvrit
l’une des porcheries de Druidan, si bien que Tanaburs, qui fut le premier à
franchir la porte, fut accueilli par une frénésie de piaffements.
Il aurait
fallu bien davantage que des porcelets paniques pour effaroucher un druide.
Vêtu d’une robe grise crasseuse brodée de lièvres et de croissants de lune,
Tanaburs se posta à l’entrée et leva les mains au-dessus de sa tonsure. Il
portait un bâton surmonté d’une lune, qu’il tourna à trois reprises vers le
soleil puis vociféra en direction de la Tour de Merlin. Un porcelet lui glissa
entre les jambes, gratta la terre au milieu du chemin boueux puis dévala la
pente à toute vitesse. Tanaburs hurla de nouveau, immobile, guettant
d’éventuels ennemis inaperçus.
L’espace de
quelques secondes, régna un silence absolu que seuls troublaient le claquement
de l’étendard et la forte respiration des guerriers qui avaient gravi la
colline derrière le druide. Gudovan, le scribe de Merlin, était venu se poster
à côté de moi, les mains enveloppées de bandelettes tachées d’encre pour se
protéger de la morsure du froid. « Qui est-ce ? » demanda-t-il
avant de frissonner lorsqu’un cri plaintif répondit au défi de Tanaburs. Le cri
venait du château : je savais que c’était Nimue.
Tanaburs avait
l’air fâché. Il aboya comme un renard, se toucha les génitoires en faisant un
vilain signe puis se mit à sautiller sur une jambe en direction du château. Il
fit cinq pas et s’arrêta pour relancer son cri de défi, mais cette fois-ci
aucun cri perçant ne lui répondit, si bien qu’il posa son second pied à terre
et fit signe à son maître de franchir la porte.
« C’est
sans danger ! lança-t-il. Venez, Sire, venez !
— Le roi ? »
me demanda Gudovan.
Je lui
expliquai qui étaient les visiteurs, puis demandai pourquoi Gundleus, un
ennemi, était venu au Tor. Gudovan se gratta pour se débarrasser d’un pou niché
sous sa chemise, puis haussa les épaules.
« La
politique, mon garçon, la politique.
— Raconte-moi. »
Gudovan
soupira, comme si ma question était la preuve d’une sottise incurable –
telle était sa réponse habituelle à toute interrogation –, mais il se
décida ensuite à me donner une réponse.
« Norwenna
est mariable, Mordred n’est qu’un bébé qu’il faut protéger, et qui protège
mieux un prince qu’un roi ? Et qui mieux qu’un roi ennemi susceptible de
devenir un ami de Dumnonie ? En vérité, c’est fort simple, mon garçon. Une
seconde de
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