Le Roi de l'hiver
qu’il n’en faut pour le dire, les cinquante Bretons que nous
étions se retrouvèrent raides morts ou complètement dessoûlés. Je tirais des
flèches aussi vite que je le pouvais, nos lanciers formaient un bouclier, mais
leurs guerriers nous taillaient en pièces à grands coups d’épée ou de
coups-de-poing. Leurs tambours se déchaînaient, leurs sorciers hurlaient, et je
crus que mon heure avait sonné. À court de flèches, je me rabattis sur ma
lance. Nous ne devions plus être qu’une vingtaine de survivants, et tous à bout
de force. Nous avions perdu l’étendard au dragon, Mordred perdait son sang.
Nous nous étions repliés sur nous-mêmes, attendant la fin, lorsque arrivèrent
les hommes d’Arthur. »
Il marqua un
temps de pause et hocha la tête d’un air lugubre.
« Les
bardes racontent que, ce jour-là, Mordred a gorgé la terre de sang saxon, mais
ce n’était pas Mordred. C’était Arthur, Arthur qui a tué à tour de bras. Il a
repris l’étendard, taillé en pièces les sorciers, brûlé les tambours, chassé
les survivants jusqu’à la brune et occis leur chef au clair de lune, à Edwy’s
Hangstone. Voilà pourquoi les Saxons sont de prudents voisins, mon
garçon : non parce que Mordred a eu le dessus, mais parce qu’ils croient
qu’Arthur est rentré au pays.
— Ce qui
n’est pas le cas, dis-je tristement.
— Le
Grand Roi ne le fera pas revenir. Il lui en veut. »
Ligessac
s’interrompit de nouveau et jeta un œil autour de lui au cas où se pointerait
une oreille indiscrète.
« Le
Grand Roi soupçonne Arthur d’avoir souhaité la mort de Mordred pour être roi à
sa place, mais ce n’est pas vrai. Arthur n’est pas comme ça.
— Quel
genre d’homme est-ce donc ? » demandai-je.
Ligessac
haussa les épaules comme pour suggérer que la réponse était difficile, mais il
n’eut pas le temps de répondre quoi que ce soit que déjà Menw revenait.
« Motus et
bouche cousue, mon garçon. Surtout pas un mot ! »
Nous avions
tous entendu des récits de ce genre, bien que Ligessac fût le premier que je
connusse et qui prétendît avoir été à la Bataille du Cheval Blanc. Plus tard,
j’en conclus qu’il n’y avait jamais été, que tout cela n’était qu’une fable
inventée pour gagner l’admiration d’un gamin crédule, mais ses renseignements
étaient assez exacts. Mordred avait été ivre mort, Arthur avait été le
vainqueur, mais Uther l’avait renvoyé chez lui, par-delà la mer. Les deux
hommes étaient les fils d’Uther, mais Mordred était l’héritier chéri quand
Arthur n’était qu’un arrogant bâtard. Le bannissement d’Arthur ne put cependant
empêcher aucun Dumnonien de croire que le bâtard était le meilleur espoir du
pays ; le jeune guerrier d’outre-mer qui nous sauverait des Saxons et
reprendrait les Terres Perdues de Lloegyr.
La seconde
moitié de l’hiver fut clémente. On aperçut des loups au-delà du mur de terre
qui gardait le pont d’Ynys Wydryn, mais aucun n’approcha du Tor, alors même que
des gamins firent des charmes qu’ils cachèrent sous la cabane de Druidan dans
l’espoir qu’une grosse bête baveuse bondirait par-dessus la palissade pour
faire du nabot son festin. Les fétiches ne furent d’aucun effet et, l’hiver
s’effaçant, nous commençâmes tous à nous préparer à la grande fête printanière
de Beltain, avec ses immenses brasiers et son banquet nocturne. C’est alors
qu’un événement inattendu porta la fièvre à son comble.
Gundleus de
Silurie arriva au Tor.
C’est Mgr
Bedwin qui arriva le premier. Il était le conseiller le plus écouté d’Uther et
sa venue promettait de l’animation. Les servantes de Norwenna furent priées de
débarrasser le plancher et l’on recouvrit les paillasses de tapis, signe
certain qu’on allait recevoir la visite d’un grand personnage. Nous crûmes tous
que ce devait être Uther lui-même, mais l’étendard qui apparut sur le pont de
terre, une semaine avant Beltain, arborait le renard de Gundleus, non le dragon
d’Uther. Ce matin-là, il faisait beau temps lorsque je vis les cavaliers sauter
à terre au pied du Tor. Le vent s’engouffrait dans leurs pelisses et faisait
claquer l’étendard sur lequel j’aperçus le masque de renard tant honni –
ce que voyant, je criai aussitôt et me signai pour conjurer le mal.
« Qu’est-ce ?
demanda Nimue qui se tenait à mes côtés, sur la plate-forme est de la
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