Le Roi de l'hiver
réflexion t’aurait livré la réponse sans que tu aies besoin de me
faire perdre mon temps. »
Pour ma peine,
il me donna une petite tape sur l’oreille.
« Écoute
bien, reprit-il en ricanant, il lui faudra pour un temps renoncer à Ladwys.
— Ladwys ?
— Sa
maîtresse, imbécile. Tu crois qu’un roi dort seul ? Mais des gens disent
que Gundleus est tellement épris de Ladwys qu’il l’a épousée. Ils racontent
qu’il l’a conduite au tertre de Lleu et qu’il a demandé à son druide de les
unir, mais je n’arrive pas à croire qu’il ferait une folie pareille. Elle n’est
pas du sang. Mais n’es-tu pas censé inscrire les fermages pour Hywel
aujourd’hui ? »
Je fis celui
qui n’avait pas entendu et observai Gundleus et sa garde qui escaladaient
prudemment les pentes boueuses jusqu’à la porte. Le roi de Silurie était un
grand homme bien bâti d’une trentaine d’années. Il n’était qu’un jeune homme
lorsque ses sbires s’étaient emparés de ma mère et m’avaient jeté dans la
fosse, mais la douzaine d’années qui s’étaient écoulées depuis cette nuit
sombre et sanguinaire lui avait été clémente, car il était encore beau, avec sa
longue chevelure noire et sa barbe fourchue qui ne laissait paraître aucune
trace de gris. Il portait un manteau de renard, des bottes de cuir qui lui
montaient aux genoux, une tunique de bure ainsi qu’une épée dans son fourreau
rouge. Ses gardes étaient vêtus comme lui : tous étaient de solides
gaillards qui dominaient de haut le triste ramassis de lanciers éclopés de
Druidan. Les Siluriens portaient des épées, mais aucun n’avait de lance ni de
bouclier, preuve qu’ils étaient venus animés d’intentions pacifiques.
Je reculai sur
le passage de Tanaburs. Je n’étais encore qu’un enfant trottinant quand il
m’avait lancé dans la fosse et il n’y avait aucune chance que le vieil homme
reconnût en moi le gamin qui avait échappé à la mort. Après son échec, je
n’avais non plus aucune raison de le craindre, mais je reculai tout de même
devant le druide de Silurie. Il avait des yeux bleus, un long nez et une bouche
molle et baveuse. Il avait accroché des osselets à l’extrémité de ses longs
cheveux blancs et secs, et les os s’entrechoquaient tandis que, d’un pas
traînant, il ouvrait la voie à son maître. Mgr Bedwin emboîta le pas à
Gundleus, lui souhaitant la bienvenue et lui disant combien le Tor était honoré
de cette royale visite. Deux gardes transportaient un gros coffre qui devait
contenir des présents pour Norwenna.
La délégation
s’engouffra dans le château. L’étendard au renard fut planté en terre, juste
devant la porte, les hommes de Ligessac en interdisant l’entrée à quiconque,
mais ceux d’entre nous qui avaient grandi au Tor savaient comment se faufiler
dans l’antre de Merlin. Je courus du côté sud, escaladai un tas de bûches et
écartai l’un des rideaux de cuir qui protégeaient les fenêtres. Puis je sautai
à terre et me cachai derrière l’un des coffres d’osier qui enfermaient le linge
d’apparat. L’un des esclaves de Norwenna me vit arriver, et probablement
quelques hommes de Gundleus aussi, mais nul ne prit la peine de me chasser.
Norwenna était
assise sur un siège de bois, au centre de la grande salle. La veuve n’était pas
une beauté avec sa face de lune, ses petits yeux porcins, ses lèvres pincées et
sa peau grêlée par quelque maladie infantile, mais tout cela n’avait aucune
importance. Les grands hommes n’épousent pas des princesses pour leur joli
minois, mais pour le pouvoir qu’elles apportent en dot. Reste que Norwenna
s’était soigneusement préparée à cette visite. Ses servantes lui avaient passé
un beau manteau de laine bleu clair qui s’étalait par terre, tout autour
d’elle, et avaient natté ses cheveux noirs enroulés au-dessus de sa tête et
surmontés d’une couronne de fleurs de prunelliers. Elle avait un torque en or
massif autour du cou, trois bracelets d’or au poignet et une croix de bois sur
la poitrine. Elle était manifestement nerveuse car, de sa main libre, elle ne
cessait de tripoter sa croix ; de l’autre, emmailloté dans des mètres de
beau lange et enveloppé dans un manteau teint d’une rare couleur dorée avec de
l’eau imprégnée de cire d’abeille, elle tenait l’Edling de Dumnonie, le prince
Mordred.
C’est à peine
si le roi Gundleus jeta un coup d’œil à Norwenna. Il
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