Le Roi de l'hiver
doigts sur l’or
avant que je pusse m’en saisir. « Sera-t-elle mienne un jour ?
— À
personne d’autre, chère Dame. Je le promets. » Elle la tenait encore.
« Et tu ne laisseras pas Mgr Sansum s’en emparer ?
— Jamais »,
affirmai-je avec ardeur.
Elle la laissa
tomber dans ma main. « La portais-tu vraiment sous ton plastron ?
— Toujours,
dis-je en la fourrant en sécurité sous ma robe.
— Pauvre
Ynys Trebes. » Elle s’était assise à sa place habituelle, sur le rebord de
ma fenêtre, d’où elle pouvait contempler la vallée de Dinnewrac, en direction
du fleuve lointain dont les eaux montaient à la faveur des pluies de ce début
d’été. Imaginait-elle les envahisseurs francs passer le gué et essaimer sur ses
pentes ? « Qu’est devenue Leanor ? demanda-t-elle, me prenant au
dépourvu.
— La
harpiste ? Elle est morte.
— Non !
Je croyais t’avoir entendu dire qu’elle avait fui Ynys Trebes. »
Je hochai la
tête. » En effet, mais elle est tombée malade au cours de son premier
hiver en Bretagne, et elle est morte. Voilà tout.
— Et ta
femme ?
— La
mienne ?
— À Ynys
Trebes. Tu as dit que Galahad avait Leanor, mais que vous aviez tous des
femmes, vous aussi. Qui était la tienne ? Et qu’est-elle devenue ?
— Je ne
sais pas.
— Oh,
Derfel ! Il est impossible qu’elle n’ait compté pour rien ! »
Je soupirai.
« C’était la fille d’un pêcheur. Elle s’appelait Pellcyn, mais tout le
monde l’appelait Puss. Son mari s’était noyé un an avant que je ne la
rencontre. Elle avait une petite fille, et quand Culhwch conduisit nos
survivants au bateau, Puss a glissé de la falaise. Elle tenait son bébé, tu
comprends, et elle ne pouvait se tenir aux rochers. C’était le chaos, tout le
monde paniquait et courait. Ce n’est la faute de personne. » Bien que,
eussé-je été là, Pellcyn aurait vécu. C’est du moins ce que je me suis souvent
dit. Une belle plante aux yeux vifs, qui riait volontiers et qui ne rechignait
jamais à la besogne. Une brave femme. Mais si je l’avais sauvée, Merlin serait
mort. Le destin est inexorable.
Igraine avait
dû penser la même chose. « J’aurais bien aimé rencontrer Merlin, dit-elle
d’un air songeur.
— Tu lui
aurais plu. Il a toujours aimé les jolies femmes.
— Mais
Lancelot aussi ? demanda-t-elle aussitôt.
— Oh
oui !
— Pas les
garçons ?
— Pas les
garçons. »
Igraine rit.
Ce jour, elle portait une robe de lin brodée, teinte en bleu, qui seyait à sa
peau blonde et à ses cheveux bruns. Deux torques d’or soulignaient son cou et
un entremêlement de bracelets cliquetaient à son gracile poignet. Elle puait
les fèces, mais j’étais assez diplomate pour l’ignorer, sachant bien que force
lui était de porter un pessaire façonné avec les premières selles d’un
nouveau-né, un vieux remède pour les femmes stériles. Pauvre Igraine !
« Tu
haïssais Lancelot ? m’accusa-t-elle soudain.
— Absolument.
— Ce
n’est pas juste ! » Sautant du rebord de la fenêtre, elle se mit à
arpenter la petite pièce. « L’histoire des gens ne devrait pas être
racontée par leurs ennemis. Et si Nwylle écrivait la mienne ?
— Nwylle ?
— Tu ne
la connais pas », dit-elle en fronçant les sourcils, et je devinai que
c’était la maîtresse de son mari. « Mais ce n’est pas juste, parce que
tout le monde sait que Lancelot a été le plus grand des soldats d’Arthur. Tout
le monde !
— Pas
moi.
— Mais il
devait être valeureux ! »
Je regardai
par la fenêtre, tâchant d’être équitable, tâchant de trouver un mot positif à
dire sur mon pire ennemi. « Il pouvait l’être, mais il en a décidé
autrement. Il s’est battu, parfois, mais en règle générale il fuyait la
bataille. Il craignait tellement d’avoir le visage balafré, tu comprends. Il
était très vain de sa personne. Il collectionnait les miroirs romains. La salle
des glaces du palais de Benoïc était son fief. Il s’y installait et s’admirait
sous toutes les coutures.
— Je ne
le crois pas aussi mauvais que tu veux bien le dire, protesta Igraine.
— Je le
crois pire encore. » Je n’aime pas parler de Lancelot, car sa mémoire
reste comme un tache dans ma vie. « Avant toute chose, dis-je à Igraine,
il était malhonnête. Il racontait sciemment des mensonges parce qu’il voulait
donner le change, mais il savait aussi se faire aimer
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