Le Roi de l'hiver
l’étais, je ne manquais jamais de constater combien elle le comblait.
Elle avait cet esprit acerbe qui lui faisait défaut, mais qu’il aimait, et elle
en usait avec douceur. C’est ainsi qu’il la préférait, elle le savait. Elle
flattait Arthur tout en lui donnant pourtant aussi de bons conseils. Arthur
était toujours disposé à croire le meilleur sur le compte des gens, et il avait
besoin du scepticisme de Guenièvre pour corriger cet optimisme. Elle ne faisait
pas plus âgée que la dernière fois que je l’avais approchée, même si ces yeux
verts de chasseresse avaient une sagacité nouvelle. Je ne voyais rien qui
prouvât qu’elle fût enceinte : sa robe vert pâle reposait à plat sur son
ventre où une corde garnie d’un gland d’or pendillait comme une ceinture. Son
emblème du cerf couronné d’une lune pendait autour de son cou, sous les lourds
rayons de soleil du collier saxon qu’Arthur lui avait envoyé de Durocobrivis.
Elle avait dédaignée le collier quand je le lui avais remis, mais elle
l’arborait fièrement maintenant.
Ce jour-là, la
conversation fut pour l’essentiel consacrée à des bagatelles. Arthur voulait
savoir pourquoi les merles noirs et les grives cessaient de chanter en été,
mais aucun de nous n’avait de réponse, pas plus que nous ne sûmes lui dire où
les martinets et les hirondelles s’en allaient en hiver, bien que Merlin m’eût
dit un jour qu’ils se réfugiaient dans une immense caverne du grand Nord où ils
dormaient jusqu’au printemps dans d’immenses bosquets couverts de duvet.
Guenièvre me pressa de questions sur Merlin et je certifiai, sur ma vie, que le
druide était bel et bien rentré en Bretagne.
« Il est
allé dans l’île des Morts.
— Il a
fait quoi ? » demanda Arthur, interloqué. Je lui expliquai pour Nimue
et pensai à remercier Guenièvre de ses efforts pour sauver mon amie de la
vindicte de Sansum.
« Pauvre
Nimue, fit Guenièvre. Mais c’est
une créature farouche, n’est-ce pas ? Je l’aimais bien, mais
je ne crois pas qu’elle nous aimait beaucoup. Nous sommes tous beaucoup trop
frivoles ! Et je n’ai pas réussi à l’intéresser à Isis. Isis,
protestait-elle, est une Déesse étrangère, puis elle crachait comme un chaton
et marmonnait une prière à Manawydan. »
Arthur ne réagit
pas à l’évocation d’Isis et j’imaginai que l’étrange Déesse avait cessé de le
tracasser. « Je voudrais bien la connaître mieux, cette Nimue, dit-il
plutôt.
— Cela
viendra, quand Merlin la ramènera d’entre les morts.
— S’il le
peut, fit Arthur, sceptique. Nul n’est jamais revenu de l’île.
— Nimue
en reviendra ! protestai-je.
— Elle
est extraordinaire, renchérit Guenièvre, et si quelqu’un peut en sortir vivant,
c’est bien elle.
— Avec
l’aide de Merlin », ajoutai-je.
Ce n’est qu’à
la fin du repas que la conversation glissa sur Ynys Trebes, et même alors
Arthur prit grand soin de ne pas mentionner le nom de Lancelot. Il regretta
plutôt de n’avoir aucun cadeau pour me récompenser de mes efforts.
« D’être
de retour au pays m’est une récompense suffisante, Seigneur Prince, dis-je,
pensant à employer le titre que préférait Guenièvre.
— Au
moins puis-je t’appeler Seigneur, répondit Arthur, et c’est ainsi qu’on
t’appellera désormais, Seigneur Derfel. »
Je ris, non
que je manquasse de reconnaissance, mais parce que ce titre me semblait trop
grand pour mes modestes exploits. J’étais fier, aussi : on décernait le
titre de seigneur à un roi, à un prince ou à un chef, ou encore à un homme qui
s’était illustré par son épée. Par superstition, j’effleurai la garde d’Hywelbane
afin que l’orgueil ne vînt point gâter ma chance. Guenièvre se moqua de moi,
non par méchanceté, mais ravie de mon plaisir, et Arthur, qui n’aimait rien
tant que de voir les autres heureux, était content pour nous deux. Lui-même
était heureux ce jour-là, mais le bonheur d’Arthur était toujours plus discret
que la joie des autres. En ce temps-là, à son retour en Bretagne, jamais je ne
le vis ivre, jamais je ne le vis tapageur, jamais je ne le vis perdre son
sang-froid, sauf sur le champ de bataille. Il avait en lui un calme que
d’aucuns trouvaient déconcertant, car ils redoutaient qu’il ne lût dans leur
âme, mais je crois que cette sérénité lui venait de son désir d’être différent.
Il avait soif
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