Le Roi de l'hiver
que l’attaque visait Mordred. Ce n’était pas le cas, bien
entendu, mais cela ne les a pas empêchés de se servir de leurs lances. Alors
Nabur, le magistrat responsable du roi, a fait arrêter Nimue, et il l’a jugée
coupable de fomenter la révolte. Naturellement, il était chrétien. Mgr Sansum a
réclamé sa mort, la princesse Guenièvre a exigé sa libération, et pendant ce
temps Nimue croupissait dans les geôles de Nabur. » Bedwin s’interrompit,
et je vis sur son visage que le pire était encore à venir. « Elle est
devenue folle, Derfel, reprit enfin l’évêque. Comme un faucon en cage, tu
comprends, et elle se rebellait contre ses barreaux. Elle hurlait à la mort.
Nul ne pouvait la retenir. »
Je savais ce
qui allait suivre et hochai la tête. « Non.
— L’Ile
des Morts. » Bedwin lâcha l’horrible nouvelle. « Que faire
d’autre ?
— Non ! »
protestai-je encore, car Nimue était sur l’île des Morts, perdue parmi les âmes
brisées, et l’idée d’un pareil destin m’était insupportable. « Elle a sa
Troisième Blessure, fis-je à voix basse.
— Quoi ? »
Bedwin porta la main à son oreille.
« Rien,
dis-je. Vit-elle encore ?
— Qui
sait ? Aucun être vivant n’y va jamais, et qui s’y risque ne saurait en
revenir.
— Mais
c’est là que Merlin a dû aller ! » m’exclamai-je, soulagé. Merlin
avait sans nul doute appris ce qui s’était passé de l’homme avec lequel il
chuchotait au fond de la cour, et Merlin pouvait faire ce qu’aucun autre homme
ou ce qu’aucune autre femme n’ose faire. L’île des Morts ne saurait terrifier
Merlin. Pourquoi se serait-il autrement éclipsé aussi vite ? Dans un jour
ou deux, pensai-je, il serait de retour à Durnovarie, avec Nimue sauvée et
rétablie. Il le fallait.
« Prie
Dieu qu’il en soit ainsi, fit Bedwin, pour l’amour de Nimue.
— Qu’est-il
advenu de Sansum ? demandai-je
d’un ton hargneux.
— Il n’a
pas été puni officiellement, mais Guenièvre a persuadé Arthur de le démettre de
ses fonctions de chapelain auprès de Mordred ; puis le vieil homme qui
administrait le sanctuaire de la Sainte-Épine à Ynys Wydryn est mort et j’ai
réussi à convaincre notre jeune évêque de prendre la relève. Il n’était pas
heureux, mais il savait qu’il s’était fait trop d’ennemis à Durnovarie, et il a
accepté. » Bedwin se réjouissait visiblement de la chute de Sansum.
« Il y a certainement perdu son pouvoir et je ne l’imagine pas le
récupérer. À moins qu’il ne soit beaucoup plus subtil que je ne le pense.
Naturellement, il est de ceux qui chuchotent qu’il faut sacrifier Arthur. Tout
comme Nabur. Il y a une faction Mordred dans notre royaume, Derfel, et elle
demande pourquoi nous devrions nous battre pour la vie d’Arthur. »
Je contournai
une petite mare de vomi – l’œuvre d’un soldat ivre. L’homme grogna, puis
leva les yeux vers moi et fit un nouvel effort pour régurgiter. « Qui
d’autre pourrait régner sur la Dumnonie ? » demandai-je à Bedwin dès
que nous fûmes hors de portée de voix du soûlard.
« Voilà
une bonne question, Derfel. Qui, en vérité ? Gorfyddyd, bien entendu, ou
Cuneglas, son fils. D’aucuns chuchotent le nom de Gereint, mais il n’y tient
pas. Nabur a même suggéré mon nom. Il n’a rien dit de précis, bien sûr, juste
des insinuations. » Bedwin gloussa d’un air de dérision. « Mais de
quelle utilité serais-je contre nos ennemis ? Nous avons besoin d’Arthur.
Personne d’autre n’aurait pu si longtemps tenir en échec ce cercle d’ennemis,
Derfel, mais les gens ne le comprennent pas. Ils lui font grief du chaos, mais
si un autre prenait les rênes le chaos serait pire encore. Nous sommes un
royaume sans roi digne de ce nom, alors tous les fourbes ambitieux lorgnent le
trône de Mordred. »
Je m’arrêtai à
côté du buste de bronze qui ressemblait tellement à Gorfyddyd. « Si
seulement Arthur avait épousé Ceinwyn... »
Mais Bedwin me
coupa. « Si, Derfel, si... Si le père de Mordred avait vécu, ou si Arthur
avait tué Gorfyddyd au lieu de lui trancher un bras, tout serait différent.
L’histoire n’est jamais faite que de si. Et peut-être as-tu raison. Peut-être
serions-nous en paix à l’heure qu’il est si Arthur avait épousé Ceinwyn et
peut-être la tête d’Aelle serait-elle plantée sur la tête d’une lance à Caer
Cadarn, mais combien de temps
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