Le Roi de l'hiver
chiens de guerre au bout d’une laisse de cuir.
Derrière les guerriers, suivait une horde de femmes, d’enfants et d’esclaves.
Ils étaient plus qu’assez pour nous submerger, mais Aelle avait donné sa parole
que nous étions en paix, du moins jusqu’à ce qu’il décide de notre sort, et ses
hommes s’abstinrent de toute manifestation d’hostilité. Leur ligne s’arrêta
devant le fossé circulaire tandis qu’Aelle, son conseil, un interprète et deux
magiciens s’avancèrent à la rencontre d’Arthur. Les cheveux hérissés par la
bouse, les magiciens portaient des peaux de loup en loques. Ils se mirent à
tournoyer pour dire leurs charmes, faisant voler autour de leurs corps peints
les pattes, les queues et les têtes des loups. Ils hurlèrent leurs incantations
tout en s’approchant, afin de neutraliser les sorts que nous aurions pu jeter
contre leur chef. Accroupie derrière nous, Nimue psalmodiait ses
contre-charmes.
Les deux chefs
se toisèrent. Arthur était plus grand, Aelle plus large. Le visage d’Arthur
était marquant, mais celui d’Aelle était terrifiant, implacable : le
visage d’un homme venu d’outre-mer pour se tailler un royaume en terre
étrangère, et il s’était taillé ce royaume sans faire de quartiers, avec
sauvagerie et brutalité. « Je devrais te tuer maintenant, Arthur,
déclara-t-il, cela ferait un ennemi de moins à détruire. »
Ses magiciens,
nus sous leurs peaux mangées aux mites, s’accroupirent derrière lui. L’un d’eux
mâchonnait une bouchée de terre, l’autre roulait des yeux tandis que Nimue, son
orbite creuse à nu, sifflait. Le conflit entre Nimue et les magiciens était une
guerre privée, que les deux chefs ignorèrent.
« L’heure
viendra, Aelle, où nous nous retrouverons peut-être dans la bataille. Mais,
pour l’heure, je t’offre la paix. » Je m’attendais à moitié à ce qu’Arthur
s’inclinât devant Aelle qui, contrairement à lui, était roi, mais il traita le
Bretwalda en égal, ce que celui-ci accepta sans protester.
« Pourquoi ? »
demanda sèchement Aelle, qui ne s’embarrassait pas de ces circonlocutions
auxquelles nous recourions volontiers. J’en vins à remarquer cette différence
entre nous et les Saxons. La pensée des Bretons empruntait des voies sinueuses,
comme les volutes alambiquées de leurs bijoux, tandis que les Saxons étaient
bourrus et directs, aussi mal dégrossis que leurs lourdes broches d’or et leurs
colliers trapus. Les Bretons abordaient rarement un sujet bille en tête, mais
se plaisaient aux digressions, l’enrobant d’insinuations et d’allusions,
toujours pensant à la manœuvre, alors que les Saxons ne se perdaient pas en
subtilités. Arthur m’assura un jour que j’avais le franc-parler des Saxons, et
je crois qu’il l’entendait comme un compliment.
Arthur fit
comme s’il n’avait pas entendu la question d’Aelle. « Je pensais que nous
avions déjà la paix. Nous avions scellé un accord avec l’or. »
Le visage
d’Aelle ne laissa paraître aucune vergogne d’avoir rompu la trêve. Il se
contenta d’un haussement d’épaules, comme si la fin de la paix n’était qu’une
bagatelle. « Alors, si une paix échoue, pourquoi en acheter une
autre ?
— Parce
que j’ai une querelle avec Gorfyddyd, répondit Arthur, adoptant les manières
brutales des Saxons, et je cherche ton aide pour vider cette querelle. »
Aelle hocha la
tête. « Mais si je t’aide à abattre Gorfyddyd, je te renforce ?
Pourquoi le ferais-je ? »
Aelle rit,
dévoilant ainsi ses dents pourries. « Un chien se soucie-t-il du rat qu’il
tue ? »
Ce qui devint,
dans ma traduction, « un chien se soucie-t-il du cerf qu’il abat ».
Cela me semblait plus diplomatique et j’observais que l’interprète d’Aelle, un
esclave breton, ne le dit point à son maître.
« Non,
répondit Arthur, mais tous les cerfs ne sont pas égaux. » L’interprète
d’Aelle traduisit que tous les rats ne sont pas égaux, ce que je ne dis pas à
Arthur. « Au mieux, Seigneur Aelle, je conserve la Dumnonie et je fais du
Powys et de la Silurie mes alliés. Mais si Gorfyddyd gagne, il réunira l’Elmet,
le Rheged, le Powys, la Silurie et la Dumnonie contre toi.
— Mais tu
auras aussi le Gwent de ton côté », répliqua Aelle.
C’était un
esprit vif et avisé.
« Vrai,
mais Gorfyddyd aussi, si la guerre oppose les Bretons et les Saxons. »
Aelle grogna.
La situation actuelle, où
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