Le Roi de l'hiver
clair de lune, et rien de cela n’intéresserait Merlin.
Il n’attend que l’heure où tout cela sera rendu aux Dieux et, ce jour-là, il me
demandera de lui restituer Caledfwlch. Telle était son autre condition. Je pouvais
prendre l’épée des Dieux, du moment que je la lui rendrais quand il en aurait
besoin. »
Il s’était
exprimé avec une pointe de moquerie qui m’avait troublé.
« Tu ne
crois pas au rêve de Merlin ?
— Je
tiens Merlin pour l’homme le plus sage de Bretagne, répondit-il d’un air grave,
et il en sait plus que je ne puis jamais espérer savoir. Je sais aussi que mon
destin est lié au sien, tout comme le tien, je crois, et celui de Nimue
s’entremêlent, mais je pense aussi que Merlin a connu l’ennui dès l’instant où
il est né : il fait donc ce que font les Dieux. Il s’amuse à nos dépens.
Ce qui veut dire, Derfel, que l’heure de rendre Caledfwlch sonnera lorsque
jamais l’épée ne m’aura été plus nécessaire.
— Alors
que feras-tu ?
— Je n’en
ai aucune idée. Aucune. » L’idée semblait l’amuser car il sourit, puis
posa la main sur mon épaule. « Va dormir, Derfel. J’ai besoin de ta
langue, demain, et je ne veux pas que la fatigue la fasse trébucher. »
Je le quittai
et grappillai quelques instants de sommeil à l’ombre portée d’une pierre
dressée au clair de lune, mais avant de m’assoupir je songeai à cette nuit
lointaine où Merlin avait fatigué le bras d’Arthur sous le poids de l’épée et
chargé son âme du fardeau plus lourd encore du destin. Pourquoi Merlin avait-il
choisi Arthur, me demandai-je, car il me semblait maintenant qu’Arthur et
Merlin étaient aux antipodes l’un de l’autre. Merlin croyait qu’on ne pouvait
vaincre le chaos qu’en passant le harnais aux forces du mystère, tandis
qu’Arthur croyait aux pouvoirs des hommes. Il se pourrait, me dis-je, que
Merlin eût exercé Arthur à conduire les hommes pour être libre d’affronter les
puissances des ténèbres, mais j’entrevoyais aussi, très vaguement, le jour où
il nous faudrait tous choisir entre eux. Et je redoutais cette heure. Je priai
qu’elle n’arrive jamais. Puis je dormis jusqu’à ce que le soleil levant
projette l’ombre d’une colonne de pierre isolée hors du cercle au cœur même des
Pierres où, guerriers fatigués, nous gardions la rançon d’un royaume.
Nous bûmes de
l’eau et mangeâmes du pain dur, avant de ceindre nos épées et de répandre l’or
sur l’herbe humide de rosée à côté de l’autel. « Qu’est-ce qui peut
empêcher Aelle de s’emparer de l’or et de continuer sa guerre ? »
demandai-je à Arthur tandis que nous attendions l’arrivée du Saxon. Après tout,
Aelle nous avait déjà pris de l’or et cela ne l’avait pas empêché d’incendier
Durocobrivis.
Arthur haussa
les épaules. Il portait son armure de rechange, une cotte de mailles bosselée
et déchirée par de fréquentes batailles. Il portait les lourdes mailles sous
l’un de ses manteaux blancs. « Rien, si ce n’est le peu d’honneur qu’il
pourrait avoir. C’est pourquoi il se pourrait que nous devions lui offrir plus
que de l’or.
— Plus ? »
Mais Arthur ne répondit pas, car les Saxons avaient surgi à l’est sous les
premières lueurs de l’aube.
Ils formaient
une longue ligne à l’horizon, avec leurs battements de tambours et leurs
lanciers disposés en ordre de bataille, même si leurs armes étaient couronnées
de feuillages pour bien montrer que, dans l’immédiat, ils ne nous voulaient
aucun mal. Aelle les conduisait. Je ne devais jamais rencontrer que deux hommes
prétendant au titre de Bretwalda. Il fut le premier. L’autre vint plus tard et
nous causa plus de soucis, mais Aelle nous en donna bien assez. C’était un
grand homme au visage plat et dur, avec des yeux foncés qui ne laissaient rien
paraître de ses pensées. Sa barbe était noire, ses joues balafrées, et deux
doigts manquaient à sa main droite. Il portait un manteau de tissu noir
ceinturé de cuir, des bottes de cuir, un casque de fer surmonté de cornes de
taureaux, le tout recouvert d’une pelisse d’ours qu’il laissa tomber lorsque la
chaleur du jour devint trop forte pour une aussi flamboyante parure. Sa
bannière était un crâne de taureau barbouillé de sang et attaché à la hampe
d’une lance.
Ses troupes
comptaient quelque deux cents hommes, peut-être un peu plus, et plus de la
moitié tenaient de grands
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