Le Roi de l'hiver
l’or au Bretwalda, Therdig, plus que tu n’en puis rêver. De l’or
pour vos hommes, pour vos épouses, pour vos filles, même assez pour vos
esclaves. Est-ce une raison suffisante ?
— Montre-moi,
crapaud. »
C’était
risqué, mais Arthur y consentit volontiers, entraînant Therdig et six de ses
hommes jusqu’aux mulets pour leur révéler le contenu des sacs. Le risque était
que Therdig se dît que la fortune valait la bagarre séance tenante, mais nous
étions supérieurs en nombre, et la vue des hommes d’Arthur sur leurs grands
chevaux était redoutablement dissuasive. Il se contenta d’empocher trois pièces
d’or en déclarant qu’il allait annoncer notre présence au Bretwalda.
« Vous attendrez aux Pierres, ordonna-t-il. Soyez là-bas dans la soirée,
et mon roi vous y rejoindra dans la matinée. » Cela nous fit comprendre
qu’Aelle avait dû être averti de notre approche et qu’il avait aussi deviné le
but de notre ambassade. « Vous pouvez vous reposer en paix aux Pierres,
ajouta Therdig, en attendant que le Bretwalda ne décide de votre sort. »
Ce soir-là, car
il nous fallut tout l’après-midi pour atteindre les Pierres, je vis le grand
cercle pour la première fois. Merlin m’en avait souvent parlé, et Nimue avait
eu de nombreux échos de leur puissance, mais personne ne savait qui les avait
faites ni pourquoi les grandes pierres dressées étaient disposées en un cercle
aussi majestueux. Nimue était certaine que seuls les Dieux avaient pu créer un
endroit pareil et, tandis que nous approchions des monolithes gris et
solitaires, dont les ombres noires s’allongeaient dans l’herbe pâle, elle
chanta des prières. Un fossé entourait les Pierres, disposées en un grand
cercle de piliers couronnés de linteaux, tandis qu’à l’intérieur de cette
arcade massive et grossière se dressaient d’autres immenses pierres debout entourant
un autel en forme de table. Il y avait bien d’autres cercles de pierres en
Bretagne, certains de circonférence plus grande encore, mais aucun qui eût
autant de mystère et de majesté, et c’est dans un silence mâtiné d’effroi que
nous en approchâmes.
Nimue jeta ses
charmes puis nous dit que nous pouvions franchir le fossé sans risque, et c’est
émerveillés que nous nous promenâmes au milieu des pierres roulées des Dieux.
Une épaisse couche de lichens recouvrait les Pierres ; d’aucunes
penchaient quand elles n’étaient pas tombées depuis de longues années, tandis
que d’autres étaient gravées en profondeur de noms et de chiffres romains.
Gereint avait reçu la suzeraineté de ces Pierres, charge imaginée par Uther
pour récompenser l’homme qui défendait notre frontière orientale contre les
Saxons, même s’il appartenait maintenant à un homme nouveau de prendre le titre
et de refouler Aelle au-delà des décombres de Durocobrivis. Il était
scandaleux, me déclara Nimue, qu’Aelle eût demandé à nous retrouver ici, en plein
cœur de la Dumnonie.
Il y avait des
bois dans la vallée, à une demi-lieue plus au sud, et nous allâmes avec nos
mulets chercher de quoi faire un feu pour illuminer cette nuit hantée. D’autres
brasiers éclairaient la ligne d’horizon, à l’est, preuve que les Saxons nous
avaient suivis. Ce fut une nuit agitée. Notre brasier flambait comme le feu de
Beltain, mais l’ombre des flammes sur les pierres nous mettait les nerfs à rude
épreuve. Nimue jeta des charmes tout autour du fossé et cette précaution apaisa
nos hommes, mais nos chevaux aux piquets passèrent la nuit à geindre et à
piétiner la terre. Arthur soupçonnait qu’ils sentaient les chiens de guerre des
Saxons, mais Nimue était certaine que les esprits des morts tournoyaient tout
autour de nous. Nos sentinelles serraient la hampe de leurs lances et
interpellaient chaque souffle de vent qui soupirait à travers les tertres
entourant les Pierres. Aucun chien, aucune goule ni aucun guerrier ne nous
dérangea, même si nous fûmes peu nombreux à trouver le sommeil.
Arthur ne
ferma pas l’œil de la nuit. À un moment, il me demanda de le suivre et nous
fîmes le tour du cercle de grandes pierres par l’extérieur. Il demeura un temps
sans parler, la tête nue sous les étoiles. « Je suis déjà venu ici une
fois, déclara-t-il en rompant soudainement le silence.
— Quand,
Seigneur ?
— Il y a
dix ans. Peut-être onze. » Il haussa les épaules, comme si le nombre des
années était sans
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