Le Roi de l'hiver
fémur, mais Nimue se
contenta de cracher. Ce geste parut conclure leur guerre de sorcellerie, car
les deux magiciens reculèrent d’un pas traînant tandis que Nimue se relevait en
se frottant les mains. Le conseil d’Aelle marchanda avec nous. À un moment, ils
réclamèrent tous nos grands chevaux de guerre, mais Arthur exigea en retour
tous leurs molosses et finalement, dans l’après-midi, les Saxons acceptèrent
l’offre de Ratae et l’or d’Arthur. Sans doute était-ce le plus gros magot
jamais payé par un Breton à un Saxon, mais Aelle réclama aussi deux otages
qu’il promit de libérer si l’attaque de Ratae n’était pas un traquenard
manigancé par Arthur avec Gorfyddyd. Il choisit au hasard deux guerriers
d’Arthur : Balin et Lanval.
Ce soir-là,
nous mangeâmes avec les Saxons. J’étais curieux de rencontrer ces hommes qui
étaient mes frères par la naissance, et je redoutais même de me découvrir
quelque parenté avec eux. En vérité, leur compagnie me parut repoussante. Mal
embouchés, leurs manières étaient celles de rustauds et ils puaient la chair
putréfiée enveloppée de fourrure. Quelques-uns se moquèrent de moi en disant
que je ressemblais à leur roi Aelle, mais je ne voyais aucune ressemblance
entre son visage plat et ses traits durs et ma figure telle que je l’imaginais.
Aelle finit par clouer le bec aux moqueurs, puis me lança un regard froid avant
de me prier d’inviter les hommes d’Arthur à partager leur repas :
d’énormes quartiers de viande rôtie, que nous mangeâmes les mains gantées,
mordant à belles dents dans la chair brûlante jusqu’à en avoir la barbe
dégoulinante de sang. Nous leur offrîmes de l’hydromel, ils nous donnèrent de
la bière. Il y eut bien quelques rixes d’ivrognes, mais pas de morts. Aelle,
comme Arthur, resta sobre, même si les deux magiciens du Bretwalda tombèrent
ivres morts puis s’endormirent à côté de leurs vomissures : Aelle expliqua
alors que c’étaient des fous en contact avec les Dieux. Il avait d’autres
prêtres, précisa-t-il, qui étaient sains d’esprit, mais on prêtait aux
lunatiques un pouvoir particulier dont les Saxons pourraient bien avoir besoin.
« Nous redoutions que tu n’amènes Merlin, avoua-t-il.
— Merlin
est son propre maître, répondit Arthur, mais voici sa prêtresse. » Il fit
un geste en direction de Nimue qui regardait fixement le Saxon.
Aelle fit un
signe, sans doute pour conjurer le mal. Il redoutait Nimue à cause de Merlin,
ce qui était bon à savoir. « Mais Merlin est en Bretagne ?
demanda-t-il d’un ton craintif.
— Certains
disent que oui, d’autres que non, répondis-je pour Arthur. Qui sait ?
Peut-être est-il là, dans les ténèbres. » Je fis un mouvement de tête vers
l’obscurité, au-delà des Pierres éclairées par le feu.
Aelle se
servit d’une hampe de lance pour réveiller l’un de ses magiciens fous. L’homme
glapit piteusement et Aelle parut satisfait : tout malheur était conjuré.
Le Bretwalda avait passé autour du cou la croix de Sansum, tandis que d’autres
hommes à lui portaient les torques d’or massifs d’Ynys Wydryn. Plus tard dans
la nuit, alors que la plupart des Saxons ronflaient, certains de leurs esclaves
nous racontèrent la chute de Durocobrivis, comment le prince Gereint avait été
capturé vivant puis torturé jusqu’à la mort. Le récit fit pleurer Arthur. Parmi
nous, personne ne l’avait bien connu, mais Gereint était un homme modeste et
sans ambition, qui avait fait de son mieux pour contenir la marée montante des
forces saxonnes. Quelques esclaves nous implorèrent de les emmener avec nous,
mais nous n’osâmes pas froisser nos hôtes en accédant à leur requête.
« Nous reviendrons vous chercher un jour, promit Arthur aux esclaves. Nous
viendrons. »
Les Saxons
s’en allèrent le lendemain, dans l’après-midi. Aelle insista pour que nous
attendions encore une nuit avant de quitter les Pierres pour s’assurer que nous
ne le suivions pas et il se retira avec sa bande, emmenant Balin, Lanval et
l’homme du Powys. Consultée par Arthur pour savoir si Aelle tiendrait parole,
Nimue hocha la tête et lui dit qu’elle en avait eu en rêve la confirmation et
que les otages nous reviendraient sains et saufs. « Mais tu as les mains
souillées du sang de Ratae », ajouta-t-elle d’un ton sinistre.
Nous fîmes nos
paquetages et nous préparâmes à notre voyage, qui ne devait commencer que
Weitere Kostenlose Bücher