Le Roi de l'hiver
harassé, à qui la
responsabilité de gouverner une garnison gonflée par l’imminence de la guerre
faisait visiblement horreur. « J’ai su que vous deviez venir d’Armorique
quand j’ai vu vos boucliers. Seigneur Prince », dit-il à Galahad.
« Symbole incongru pour nos yeux de provinciaux.
— Symbole
vénéré aux miens, répondit Galahad gravement, prenant garde de ne pas croiser
mon regard.
— Certes,
certes », fit le commandant. Il s’appelait Halsyd. « Et bien entendu
tu es le bienvenu, Seigneur Prince. Notre Grand Roi accueille tous
les... » Il s’arrêta, embarrassé. Il était sur le point de dire que
Gorfyddyd accueillait tous les guerriers sans terre, mais cette formule frisait
l’insulte adressée au prince dépossédé d’un royaume armoricain. « Tous les
braves, dit plutôt le commandant. Vous ne pensiez pas rester ici, par hasard ? »
Il s’inquiétait d’avoir deux bouches affamées de plus dans une ville déjà
pressurée pour ravitailler la garnison.
« J’irai
jusqu’à Caer Sws, annonça Galahad. Avec mon serviteur, fit-il en me désignant.
— Puissent
les Dieux hâter votre course, Seigneur Prince. »
Ainsi
entrâmes-nous en pays ennemi. Nous chevauchâmes à travers de paisibles vallées,
où les champs étaient parsemés de meulettes et les vergers lourdement chargés
de pommes mûrissantes. Le lendemain, nous atteignîmes les collines, suivant un
chemin de terre qui serpentait à travers de grandes étendues de bois humides,
puis, enfin, nous fûmes au-dessus des arbres et franchîmes le col qui menait à
la capitale de Gorfyddyd. Un frisson me parcourut l’échine lorsque j’aperçus
les murs de terre grossiers de Caer Sws. L’armée de Gorfyddyd se rassemblait
sans doute à Branogenium, à quelque vingt lieues de là, mais les environs de
Caer Sws grouillaient aussi de soldats. Les troupes avaient dressé des abris de
fortune avec des murs de pierre couverts de mottes d’herbe, et les abris
entouraient le fort au-dessus duquel flottaient, outre les couleurs du Powys,
les bannières des sept royaumes venus grossir les rangs toujours plus nombreux
de Gorfyddyd. « Huit ? demanda Galahad. Le Powys, la Silurie, l’Elmet,
mais qui d’autre ?
— Cornovie,
Démétie, Gwynedd, Rheged, et les Blackshields de Démétie, fis-je, complétant la
sinistre liste.
— Pas
étonnant que Tewdric veuille la paix », conclut Galahad à voix basse,
s’étonnant de la nuée d’hommes qui campaient sur l’autre rive de la rivière
longeant la capitale de l’ennemi.
Nous nous
enfonçâmes dans cette ruche de fer. Des enfants nous suivirent, intrigués par
nos étranges boucliers, tandis que leurs mères nous observaient d’un air
soupçonneux à l’ombre de leurs refuges. Les hommes nous lançaient de rapides
coups d’œil, remarquant nos étranges insignes et observant la qualité de nos
armes, mais nul ne nous interpella avant que nous ne fûmes arrivés aux portes
de Caer Sws, où la Garde royale de Gorfyddyd nous barra le chemin avec ses
lances bien astiquées. « Je suis Galahad, prince de Benoïc, annonça
pompeusement Galahad, venu voir mon cousin le Grand Roi.
— C’est
un cousin ? chuchotai-je.
— C’est
ainsi que nous parlons dans les familles royales. »
L’intérieur de
l’enceinte nous fit comprendre pourquoi tant de soldats s’étaient rassemblés à
Caer Sws. Trois grands pieux avaient été plantés en terre et attendaient
maintenant les cérémonies officielles qui préludent à la guerre. Le Powys était
l’un des royaumes les moins chrétiens et l’on observait avec soin ici les
anciens rituels, et je soupçonnais qu’on avait fait venir de Branogenium nombre
des soldats qui campaient hors les murs pour assister aux rites et faire savoir
à leurs camarades que les Dieux avaient été conciliés. L’invasion de Gorfyddyd
devait se faire sans précipitation aucune, tout serait accompli méthodiquement,
et Arthur, me dis-je, avait probablement raison de penser qu’une
attaque-surprise pouvait perturber des préparatifs aussi prosaïques.
Des serviteurs
s’occupèrent de nos chevaux et, après qu’un conseiller eut questionné Galahad
et se fut assuré qu’il était celui qu’il prétendait être, on nous fit entrer
dans la grande salle de banquet. Le portier nous prit nos épées, nos boucliers
et nos lances pour les ajouter aux râteliers déjà encombrés par les hommes
réunis dans la salle de
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