Le Roi de l'hiver
tête. S’il s’en allait en Armorique, il vivrait, mais il
abandonnerait Mordred et son rêve d’une Bretagne juste et unie.
La clameur
s’amplifia, et c’est alors que Galahad se leva et cria pour avoir une chance de
se faire entendre.
Tewdric
l’invita à parler, et Galahad commença par se présenter. « Je suis
Galahad, Sire, prince de Benoïc. Si le roi Gorfyddyd ne veut recevoir aucun
émissaire de Gwent ou de Dumnonie, il n’en refusera certainement pas un
d’Armorique ? Sire, laissez-moi aller à Caer Sws et m’assurer des intentions
de Gorfyddyd concernant Mordred. Et si j’y vais, Sire, accepterez-vous ma
parole comme son verdict ? »
Tewdric
s’empressa d’accepter. Il était ravi de tout ce qui pouvait éviter la guerre,
mais il cherchait encore le consentement d’Arthur : « Suppose que
Gorfyddyd décrète que Mordred n’a rien à craindre, lui suggéra-t-il, que
feras-tu ? »
Arthur fixait
la table. Il perdait son rêve, mais il était incapable de proférer un mensonge
pour sauver ce rêve et il releva la tête avec un sourire lugubre. « En ce
cas, Sire, je quitterais la Bretagne et confierais Mordred à votre
garde. »
Une fois
encore, les Dumnoniens protestèrent à grands cris, mais c’est Tewdric qui nous
imposa le silence cette fois. « Nous ne savons pas ce que rapportera le
prince Galahad, dit-il, mais voici ma promesse. Si le trône de Mordred est
menacé, alors moi, le roi Tewdric, je me battrai. Sinon ? Je ne vois
aucune raison de combattre. »
Nous devions
nous satisfaire de cette promesse. La guerre était apparemment suspendue à la
réponse de Gorfyddyd. C’est pour l’obtenir que, le lendemain matin, Galahad
prit la route du nord.
*
J’accompagnai
Galahad. Il n’avait pas voulu de moi, protestant que ma vie serait en danger,
mais je lui donnai la réplique comme je ne l’avais encore jamais fait. Je plaidai
aussi ma cause auprès d’Arthur, expliquant qu’il fallait qu’un Dumnonien au
moins entendît Gorfyddyd faire part de ses intentions au sujet de notre roi, et
Arthur intervint auprès de Galahad, qui finit par se laisser fléchir. Nous
étions amis, après tout, même si, pour ma sécurité, Galahad m’imposa de voyager
comme si j’étais son serviteur et de porter son symbole sur mon bouclier.
« Tu n’as pas de symbole !
— Si,
dit-il, ordonnant qu’on peignît des croix sur nos boucliers. Pourquoi
pas ? Je suis chrétien.
— Ça
paraît faux. » J’étais habitué aux boucliers de guerriers blasonnés de
taureaux, d’aigles, de dragons et de cerfs, non pas d’un lambeau desséché de
géométrie religieuse.
« Ça me plaît,
dit-il, et qui plus est tu es mon humble serviteur, Derfel, ton opinion n’est
d’aucun intérêt pour moi. Aucun. » Il rit et esquiva le coup que je
voulais lui donner sur le bras.
Force me fut
d’aller à cheval. Tout au long de mes années avec Arthur, je ne m’étais jamais
habitué à monter à dos de cheval. Il m’a toujours paru naturel de s’asseoir à
l’arrière mais, ainsi, il est impossible de serrer les flancs de l’animal entre
ses genoux, ce pourquoi il faut se laisser glisser en avant de manière à se percher
juste derrière l’encolure, avec les pieds qui pendillent en l’air derrière ses
pattes avant. Je finis par fourrer un pied dans la sangle de selle pour avoir
un point d’appui, geste dont s’offusqua Galahad, qui était fier de sa manière
de monter. « Monte-le convenablement !
— Mais je
n’ai nulle part où fourrer les pieds !
— Le
cheval a quatre pattes. Combien en voudrais-tu de plus ? »
Nous
chevauchâmes jusqu’à Caer Lud, la grande forteresse de Gorfyddyd dans les
collines frontalières. La ville se dressait sur une colline, dans le coude
d’une rivière, et nous pensions que les sentinelles seraient moins cauteleuses
que celles qui gardaient la Voie romaine à Lugg Vale. Malgré tout, nous nous
gardâmes d’avouer nos véritables intentions au Powys, pour nous présenter
simplement comme des hommes d’Armorique sans terre cherchant à entrer dans le
pays de Gorfyddyd. S’apercevant que Galahad était prince, les gardes voulurent
à tout prix l’escorter auprès du commandant de la ville. Ainsi fûmes-nous
conduits à travers une ville grouillant d’hommes en armes, dont les lances
étaient plantées à la porte de chaque maison et les casques empilés sous les
bancs des tavernes. Le commandant était un homme
Weitere Kostenlose Bücher