Le Roi de l'hiver
l’espace d’une seconde, je le crus sur le point de
vomir, puis je compris qu’il riait. « Nous autres, les rois, n’aimons la
paix que lorsque la guerre devient fâcheuse. Cette réunion, Galahad de Benoïc
– d’un geste de la main, il montra la cohue des chefs et des princes
–, expliquera ce regain d’amour pour la paix chez Tewdric. » Il
s’arrêta, le temps de reprendre sa respiration. « Jusqu’à maintenant,
Galahad de Benoïc, j’ai refusé de recevoir les messages de Tewdric. Pourquoi
les recevrais-je ? Un aigle écoute-t-il un agneau qui implore grâce en
bêlant ? Dans quelques jours, je compte bien entendre tous les hommes du
Gwent me demander la paix d’une voix bêlante, mais pour l’instant, puisque tu
es venu jusqu’ici, tu peux m’amuser. Qu’offre Tewdric ?
— La paix,
Sire, rien que la paix. »
Gorfyddyd
cracha. « Tu es sans terre, Galahad, et les mains vides ? Tewdric
pense-t-il que la paix est à qui la demande ? Tewdric croit-il que j’ai
dépensé l’or de mon royaume en armées sans raison ? Me prend-il pour un
fou ?
— Il
croit, Sire, que le sang versé entre Bretons est sang perdu.
— Tu
parles comme une femme, Galahad de Benoïc. » Gorfyddyd lâcha l’insulte
d’une voix à dessein forte pour que la salle retentît de vivats et d’éclats de
rire. Quand les rires se furent calmés, il reprit : « Reste que tu
dois apporter une réponse au roi du Gwent, alors la voici. » Il s’arrêta
pour rassembler ses pensées. « Dis à Tewdric qu’il est un agneau suçant la
tétine sèche de la Dumnonie. Dis-lui que ce n’est pas après lui que j’en ai,
mais après Arthur, alors dis à Tewdric qu’il peut avoir sa paix à deux
conditions. Premièrement, qu’il laisse mon armée traverser son pays sans lui
opposer d’obstacle et, deuxièmement, qu’il me donne assez de grains pour
nourrir dix jours un millier d’hommes. » Les guerriers en restèrent bouche
bée, car l’offre était généreuse, mais aussi intelligente. Si Tewdric
acceptait, il éviterait le sac de son pays et faciliterait l’invasion de la
Dumnonie. « Es-tu habilité, Galahad de Benoïc, à accepter ces conditions ?
— Non,
Sire, juste à vous demander vos conditions et à connaître vos intentions
concernant Mordred, roi de Dumnonie, que Tewdric a fait serment de
protéger. »
Gorfyddyd prit
un air blessé. « Ai-je l’air d’un homme qui fait la guerre à des
enfants ? demanda-t-il en se relevant pour se placer au bord du dais.
C’est avec Arthur que j’ai une querelle, lança-t-il à notre adresse comme à
l’assistance tout entière, qui a préféré épouser une putain de Henis Wyren
plutôt que ma fille. Un homme laisserait-il un pareil affront
invengé ? » La salle rugit. « Arthur est un parvenu, cria
Gorfyddyd, né d’une putain, et vers une putain il est retourné ! Tant que
le Gwent protège le coureur de putain, le Gwent est notre ennemi. Tant que la
Dumnonie se bat pour le coureur de putain, la Dumnonie est notre ennemie. Et
notre ennemi sera le généreux pourvoyeur de notre or, de nos esclaves, de nos
vivres, de nos terres, de nos femmes et de notre gloire ! Arthur, nous le
tuerons, et sa putain nous la mettrons au travail dans nos baraques. » Il
attendit que les hourras se fussent calmés, puis considéra Galahad d’un regard
impérieux. « Dis cela à Tewdric, Galahad de Benoïc, et après cela dis-le à
Arthur.
— Derfel
peut le dire à Arthur. » Une voix s’était élevée de la salle. Me retournant
je vis Ligessac, le sournois, l’ancien commandant de la garde de Norwenna, le
traître passé au service de Gundleus. Il pointait le doigt vers moi.
« Voilà l’homme lige d’Arthur, Sire. Je le jure sur ma vie. »
L’assistance
était surexcitée. J’entendais des hommes hurler que j’étais un espion et
d’autres réclamer ma mort. Tanaburs me dévisageait intensément, tâchant de voir
à travers ma longue barbe blonde et mes épaisses moustaches, puis soudain il me
reconnut et hurla. « Tuez-le ! Tuez-le ! »
Les gardes de
Gorfyddyd, les seuls hommes en armes de la salle, se jetèrent sur moi.
Gorfyddyd arrêta ses lanciers d’un geste de la main, qui fit taire la foule en
tumulte. « Es-tu lié par serment au coureur de putain ? me demanda le
roi d’une voix menaçante.
— Derfel
est à mon service, Grand Roi », insista Galahad.
Gorfyddyd me
montra du doigt : « C’est à lui de
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