Le Roi de l'hiver
chrétien. Il est trois et Il est un. Il est mort et Il
est vivant, Il est partout et Il est nulle part, et Il demande qu’on L’adore
mais prétend que rien d’autre n’est digne d’adoration. Dans ces contradictions,
il y a place pour croire à tout ou à rien, mais pas avec nos Dieux. Ils sont
tels des rois, versatiles et puissants, et si l’envie les prend de nous
oublier, ils nous oublient. Peu importe ce que nous croyons, seul compte ce
qu’ils veulent. Nos charmes n’opèrent que lorsque les Dieux le permettent.
Merlin n’est pas d’accord, bien entendu. Il croit que si nous crions assez
forts, nous retiendrons leur attention, mais que fait-on à un enfant qui
braille ?
— On lui
prête attention ?
— On le
frappe, Seigneur Derfel. On le frappe ! Jusqu’à ce qu’il la ferme. Je
crains que Seigneur Merlin ne crie trop fort et trop longtemps. » Il se
leva et ramassa son bâton. « Je regrette que vous ne puissiez partager le
repas des guerriers ce soir, mais la princesse Helledd dit que vous êtes les
bienvenus à dîner dans sa demeure. »
Helledd
d’Elmet était l’épouse de Cuneglas et son invitation n’était pas nécessairement
un compliment. En vérité, ce pouvait bien être un affront calculé, imaginé par
Gorfyddyd pour insinuer que nous étions tout juste bons à dîner avec des femmes
et des enfants, mais Galahad répondit que nous serions honorés d’accepter.
Et là, dans la
petite salle de Helledd, se trouvait Ceinwyn. J’avais désiré la revoir, je
l’avais désiré dès l’instant où Galahad avait suggéré de déléguer une ambassade
au Powys et c’était pourquoi je m’étais démené comme un beau diable pour
l’accompagner. Je n’étais pas venu à Caer Sws pour faire la paix, mais pour
revoir le visage de Ceinwyn, et maintenant, à la lumière tremblotante des
chandelles à mèche de jonc, je la vis.
Les années ne
l’avaient pas changée. Son visage était aussi doux, son maintien aussi grave,
sa chevelure aussi éclatante et son sourire aussi ravissant. Lorsque nous
entrâmes, elle était aux petits soins pour un bambin, auquel elle essayait de
faire avaler des morceaux de pomme. C’était Perddel, le fils de Cuneglas.
« Je lui ai dit que s’il ne mangeait pas sa pomme, les horribles
Dumnoniens l’emporteront, expliqua-t-elle dans un sourire. Je crois qu’il doit
vouloir partir avec vous, car il ne veut rien manger. »
Helledd
d’Elmet, la mère de Perddel, était une grande femme à la mâchoire lourde et aux
yeux clairs. Elle nous souhaita la bienvenue, ordonnant à une servante de nous
servir de l’hydromel, puis nous présenta à deux de ses tantes, Tonwyn et Elsel,
qui nous regardèrent avec rancœur. De toute évidence, nous avions interrompu
une conversation à laquelle elles trouvaient plaisir et leurs regards furieux
nous suggéraient de partir, mais Helledd fut plus gracieuse.
« Connaissez-vous
la princesse Ceinwyn ? » nous demanda-t-elle.
Galahad
s’inclina devant elle puis s’accroupit à côté de Perddel. Il a toujours aimé
les enfants qui, à leur tour, lui donnaient leur confiance au premier coup
d’œil. Bientôt, les deux princes jouaient avec les bouts de pommes comme s’il
s’agissait de renards, la bouche du petit étant la tanière des renards et les
doigts de Galahad les chiens traquant l’animal. Les quartiers de pomme disparurent.
« Que n’y ai-je pensé ? demanda Ceinwyn.
— Parce
que vous n’avez pas été élevée par la mère de Galahad, Dame, expliquai-je, qui,
sans doute, l’a nourri de la même façon. Aujourd’hui encore, il ne peut rien
manger à moins qu’on ne sonne une corne de chasse. »
Elle rit, puis
aperçut la broche que je portais. Elle en eut le souffle coupé, s’empourpra et,
l’espace d’une seconde, je crus avoir commis une formidable bévue. Puis elle
sourit. « Je devrais me souvenir de toi, Seigneur Derfel ?
— Non,
Dame, j’étais très jeune.
— Et tu
l’as conservée ? demanda-t-elle, visiblement stupéfaite qu’on puisse
chérir l’un de ses cadeaux.
— Je l’ai
gardée, Dame, quand bien même j’ai tout perdu. »
La princesse
Helledd nous interrompit en nous demandant quelle affaire nous avait conduits à
Caer Sws. Elle le savait déjà, je l’aurais juré, mais c’était de bonne
politique, de la part d’une princesse, de feindre ignorer les secrets des
hommes. Je répondis qu’on nous avait envoyés pour déterminer si la
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