Le Roi de l'hiver
Dumnonie.
— Il
assure qu’il laissera Mordred sur le trône, protesta Galahad.
— Naturellement !
commenta Merlin d’un ton méprisant. Que dirait-il d’autre ? Mais dès
l’instant où il portera la main sur ce malheureux enfant, il lui tordra le cou
comme à un poulet. Une bonne chose.
— Tu souhaites
la victoire de Gorfyddyd ? » J’étais interloqué.
Il soupira.
« Derfel, Derfel, tu ressembles à Arthur. Tu crois que le monde est
simple, que le bien est le bien, que le mal est le mal, que le haut est en haut
et que le bas est en bas. Tu demandes ce que je souhaite ? Je vais te le
dire. Je veux les Treize Trésors, et je m’en servirai pour faire revenir les
Dieux en Bretagne, puis je leur ordonnerai de lui rendre le bonheur qui était
le sien avant l’arrivée des Romains. Plus de chrétiens – il pointa le
doigt vers Galahad –, plus d’adeptes de Mithra non plus – il pointa
le doigt sur moi –, rien que le peuple des Dieux dans le pays des Dieux.
Voilà, Derfel, ce que je veux.
— Et
Arthur dans tout ça ?
— Arthur ?
C’est un homme, il a reçu une épée. Il peut s’occuper de ses affaires. Le
destin est inexorable, Derfel. Si le destin veut qu’Arthur gagne cette guerre,
alors peu importe que Gorfyddyd masse les armées du monde contre lui. Si je
n’avais rien de mieux à faire, je l’avoue, j’aiderais Arthur, parce que je
l’aime bien, mais le destin a décidé que je sois un vieillard, toujours plus
faible et doté d’une vessie semblable à une outre percée. Il me faut donc
ménager mes énergies déclinantes. » Il fit cette déclaration pathétique
d’un ton vigoureux. « Même moi, je ne puis en même temps gagner les
guerres d’Arthur, guérir l’esprit de Nimue et découvrir les Trésors.
Naturellement, si je m’aperçois que sauver la vie d’Arthur m’aide à trouver les
Trésors, sois assuré que je viendrai à la bataille. Mais autrement ? »
Il haussa les épaules, comme si la guerre n’avait aucune importance à ses yeux.
De fait, tel était le cas, j’imagine. Il se tourna vers la petite fenêtre et
regarda les trois pieux dressés dans l’enceinte. « Vous resterez pour voir
les formalités, j’espère ?
— Le
devons-nous ?
— Bien
sûr que oui, si Gorfyddyd vous y autorise. Toute expérience est utile, si
affreuse soit-elle. J’ai assez souvent accompli les rites, alors je ne resterai
pas pour m’en amuser, mais soyez assurés que vous y serez en sécurité. Je
transformerai Gorfyddyd en limace s’il touche à un seul cheveu de vos têtes de
linotte, mais maintenant je dois partir. Iorweth pense qu’il se trouve sur la
frontière démétienne une vieille femme qui pourrait se souvenir de quelque
chose d’utile. Si elle vit bien sûr et qu’elle ait conservé la mémoire. Je
déteste parler avec les vieilles ; elles font une compagnie si ingrate,
car elles ne cessent de radoter et changent tout le temps de sujet. Quelle
perspective. Dis à Nimue que je suis impatient de la voir ! » À peine
avait-il prononcé ces mots qu’il avait franchi la porte et traversait
l’enceinte du fort.
Le ciel se
couvrit de nuages cet après-midi-là et un affreux crachin gris inonda le fort
avant la soirée. Le druide Iorweth vint nous assurer que nous étions en
sécurité mais, avec doigté, il nous fit comprendre que nous mettrions
l’hospitalité réticente de Gorfyddyd à rude épreuve si nous assistions au
banquet du soir, qui marquerait la dernière réunion des alliés et chefs de
Gorfyddyd avant que les hommes stationnés à Caer Sws ne rejoignissent, dans le
sud, l’armée de Branogenium. Nous le rassurâmes : nous n’avions aucune
envie d’être du banquet. Le druide remercia d’un sourire, puis s’assit sur un
banc à côté de la porte. « Vous êtes des amis de Merlin ?
— Seigneur
Derfel, oui », répondit Galahad.
Iorweth se
frotta les yeux d’un air las. Il était vieux et arborait un sourire doux et las
sous son crâne chauve sur lequel on distinguait une vague ombre de tonsure
au-dessus de chaque oreille. « Je ne puis m’empêcher de penser, reprit-il,
que mon frère Merlin attend trop des Dieux. Il croit que l’on peut refaire le
monde à neuf et que l’on peut effacer l’histoire comme un trait dans la boue.
Mais ce n’est pas possible. » Écrasant un pou dans sa barbe, il regarda
Galahad qui portait une croix autour du cou. Il secoua la tête :
« J’envie ton Dieu
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