Le Roi de l'hiver
forcenés chargèrent dans un
grand hurlement de rage sitôt qu’ils eurent franchi la partie la plus profonde
de la rivière. Ou ils étaient ivres ou ils étaient fous de bataille, car ils
affrontèrent seuls nos forces réunies. La rétribution de leur succès eût été de
la terre, de l’or, le pardon de leur crime et un rang de seigneur à la cour de
Gorfyddyd, mais trente hommes ne suffisaient pas. Ils nous blessèrent, mais
périrent ce faisant. Tous étaient d’excellents lanciers aux mains couvertes
d’anneaux de guerrier, mais chacun devait maintenant affronter trois ou quatre
ennemis. Un groupe entier se rua sur moi, voyant dans mon armure et mon panache
blanc la route la plus rapide de la gloire, mais Sagramor et mes lanciers à
queue de loup leur donnèrent la réplique. Un géant brandissait une hache de
Saxon : Sagramor l’abattit de sa lame recourbée, puis arracha la hache de
la main du moribond et la lança sur un autre lancier, sans cesser à aucun
instant de chanter son étrange chant de bataille dans sa langue maternelle. Un
dernier homme m’attaqua à l’épée : je parai son coup cinglant avec la
bosse de fer du bouclier d’Arthur, repoussai son propre bouclier avec Hywelbane
puis le frappai à l’aine. Il se plia en deux, trop grièvement blessé pour
crier, et Issa lui plongea une lance dans la nuque. Nous dépouillâmes les
assaillants de leur armure, de leurs armes et de leurs parures, abandonnant les
corps au bord du fleuve pour entraver la prochaine attaque.
Cette attaque
ne se fit pas attendre : elle fut rude. Comme le premier, ce troisième
assaut fut l’œuvre d’une masse de lanciers, sauf que cette fois nous les
affrontâmes sur la rive la plus proche où la pression des hommes, derrière la
ligne de front, faisait trébucher les lanciers de tête sur les corps entassés.
Ainsi se trouvèrent-ils exposés à notre contre-attaque, et c’est avec un
hurlement de triomphe que nous jetions nos lances rouges. Puis les boucliers se
heurtèrent de nouveau, les mourants hurlant et implorant leurs Dieux, dans un
grand fracas d’épées aussi sonore que les enclumes de Magnis. Je me retrouvai
de nouveau au premier rang, si près de la ligne ennemie que je sentais leur
haleine chargée d’hydromel. Un homme tenta de m’arracher mon casque : un
coup d’épée lui trancha la main. La pression ne cessait de se renforcer, et il
semblait que l’ennemi dût nous repousser du seul fait de sa masse, mais une
fois encore Morfans fit charger ses gros chevaux à travers la mêlée : les
lances ennemies se brisèrent sur nos boucliers, les hommes de Morfans
s’activèrent avec leurs grandes lances, obligeant de nouveau l’ennemi à
reculer. Les bardes disent que la rivière était rouge de sang, ce qui n’est pas
vrai, même si je vis se perdre dans le courant des vrilles de sang s’échappant
des blessés qui tentaient vainement de retraverser le gué.
« Nous
pourrions affronter ces salauds ici toute la journée », dit Morfans. Son
cheval saignait, et il avait mis pied à terre pour panser sa blessure.
Je hochai la
tête. « Il y a un autre gué en amont. » Je tendis la main vers
l’ouest. « Ils ne tarderont pas à avoir des lanciers sur cette
rive. »
Ces forces
ennemies de débordement arrivèrent plus tôt que je ne le pensais, car dix
minutes plus tard un hurlement de notre flanc gauche nous avertit qu’un groupe
avait bel et bien franchi la rivière à l’ouest et avançait maintenant sur notre
rive.
« Il est
temps de nous replier », me dit Sagramor. Son visage noir rasé avec soin
était maculé de sang et de sueur, mais on lisait la joie dans ses yeux, car
cette journée devait obliger les poètes à se creuser la cervelle et à forger
des mots nouveaux pour décrire la bataille, un combat qui, même perdu, vaudrait
à un homme l’honneur des salles de guerriers dans l’Au-Delà. « Il est
temps de les attirer », dit Sagramor, avant de crier l’ordre de se
retirer, si bien que, d’un pas lent et lourd, tous nos hommes retraversèrent le
village avec son bâtiment romain pour s’arrêter à une centaine de pas plus
loin. Notre flanc gauche était maintenant ancré sur le flanc ouest escarpé de
la colline, tandis que le terrain marécageux qui s’étirait jusqu’à la rivière
protégeait notre flanc droit. Malgré tout, nous demeurions beaucoup plus
vulnérables qu’au gué, parce que notre mur de boucliers était
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