Le Roi de l'hiver
maintenant
désespérément maigre et que l’ennemi pouvait se déployer sur toute sa longueur.
Il fallut à
Gorfyddyd une heure entière pour faire traverser le gué à ses hommes et les
disposer en une nouvelle ligne de boucliers. Je calculai qu’il devait être déjà
l’après-midi et je jetai un coup d’œil en arrière en quête d’un signe de
Galahad ou des hommes de Tewdric, mais je ne vis personne approcher. Cependant,
je fus aussi soulagé de constater qu’il n’y avait aucun homme à l’ouest, sur la
colline, où la barrière-fantôme de Nimue gardait notre flanc, mais Gorfyddyd
n’avait guère besoin d’hommes de ce côté-ci car son armée était maintenant plus
imposante qu’elle ne l’avait jamais été. De nouveaux contingents étaient
arrivés de Branogenium, et les commandants de Gorfyddyd les bousculaient pour
les placer dans le mur. On vit les capitaines employer leurs longues lances
pour aligner les rangs et, nous avions beau crier des provocations, nous
savions que pour chaque homme tombé dans la rivière dix autres avaient franchi
le gué. « Nous ne les arrêterons jamais ici, dit Sagramor en observant les
rangs ennemis s’épaissir. Il nous faudra nous replier sur la barricade. »
Mais avant
même que Sagramor n’ait pu donner l’ordre de battre en retraite, Gorfyddyd
lui-même s’avança à cheval pour nous défier. Il vint seul, sans même son fils,
avec pour seules armes une épée au fourreau et une lance, car il n’avait point
de bras pour tenir un bouclier. Le casque doré de Gorfyddyd, qu’Arthur avait
restitué la semaine de ses fiançailles avec Ceinwyn, était couronné d’un aigle
d’or aux ailes déployées tandis que son manteau s’étalait sur la croupe de sa
monture. Sagramor me grogna de rester où j’étais et s’avança à la rencontre du
roi.
Gorfyddyd
n’avait pas de rênes mais parlait à son cheval, qui s’arrêta docilement à deux
pas de Sagramor. Gorfyddyd posa à terre la hampe de sa lance, puis écarta les
joues de son casque pour dégager son visage rébarbatif. « Tu es le démon
noir d’Arthur, accusa-t-il, crachant pour conjurer le mal, et ton seigneur
coureur de putain s’abrite derrière ton épée. » Gorfyddyd cracha de
nouveau, cette fois dans ma direction. « Pourquoi ne pas parler avec moi,
Arthur ? Tu as perdu la langue ?
— Mon
seigneur Arthur, répondit Sagramor avec un fort accent, économise son souffle
pour chanter la victoire. »
Gorfyddyd
souleva sa longue lance. « Je suis manchot, me cria-t-il, mais je te
combattrai ! »
Je ne dis mot
ni ne bougeai. Arthur, je le savais, n’affronterait jamais un estropié en
combat singulier, même s’il n’aurait jamais gardé le silence non plus. Il
aurait maintenant demandé la paix à Gorfyddyd.
Gorfyddyd ne
voulait pas la paix. Il voulait un carnage. Il se promena devant nos lignes,
contrôlant son cheval avec les genoux et hurlant à nos hommes :
« Vous mourez parce que votre seigneur ne peut détacher ses mains d’une
putain ! Vos âmes seront maudites. Mes morts festoient déjà dans
l’Au-Delà, mais vos âmes leurs serviront de projectiles. Et pourquoi allez-vous
mourir ? Pour sa putain aux cheveux roux ? » Il tendit sa lance
vers moi tout en approchant à cheval. Je reculai, de crainte qu’il ne vît par
les œillères du casque que je n’étais pas Arthur et mes lanciers se replièrent
pour me protéger. Gorfyddyd se rit de mon apparente timidité. Son cheval était
assez proche pour que mes hommes le touchent, mais Gorfyddyd ne laissa paraître
aucune peur de leurs lances en crachant vers moi. « Femme ! » Il
cria sa pire insulte, puis pressa le flanc de son cheval du pied gauche et s’en
retourna au grand galop.
Sagramor leva
les bras : « Arrière ! cria-t-il. Repli sur la barricade !
Vite ! Arrière ! »
Chacun se
précipita, tournant le dos à l’ennemi. Une grande clameur s’éleva lorsqu’ils
virent nos bannières se replier. Ils crurent que nous fuyions et ils brisèrent
les rangs pour nous poursuivre, mais nous avions pris une bonne longueur
d’avance et nous nous étions déjà engouffrés par la brèche bien avant que les
hommes de Gorfyddyd ne nous eussent rejoints. Notre ligne se déploya derrière
la barricade, tandis que je prenais la place d’Arthur au centre de la ligne, à
l’endroit où la route traversait la brèche ouverte entre les arbres. Nous
laissâmes à dessein la brèche libre de tout
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