Le Roi de l'hiver
obstacle dans l’espoir qu’elle
pousserait Gorfyddyd à attaquer et laisser ainsi à nos flancs le temps de se
reposer. J’y plantai les deux bannières d’Arthur et attendis l’assaut.
Gorfyddyd
rugit, ordonnant à ses lanciers dispersés de former un nouveau mur de boucliers.
Le roi Gundleus commandait le flanc droit de l’ennemi et le prince Cuneglas le
gauche. Cette disposition était le signe que Gorfyddyd ne mordrait pas à
l’hameçon, mais qu’il avait l’intention d’attaquer sur tout le front.
« Vous restez ici ! cria Sagramor. Vous êtes des guerriers !
Prouvez-le maintenant ! Vous restez ici, vous tuez ici, vous gagnez
ici ! » Morfans avait obligé son cheval blessé à monter sur les
contreforts de la colline ouest, d’où il dominait la vallée côté nord, se
demandant si l’heure était arrivée de sonner la corne et d’appeler Arthur, mais
des renforts ennemis continuaient à franchir le gué et il revint sans porter
l’argent à ses lèvres.
C’est la corne
de Gorfyddyd qui retentit. Le son rauque d’une corne de bélier, non pas pour
donner l’ordre à sa ligne d’avancer, mais pour inviter une douzaine de
cervelles brûlées, tout nus, à jaillir des lignes ennemies pour se ruer sur
notre centre. Ces hommes avaient confié leur âme à la garde des Dieux, puis ils
avaient brouillé leurs sens avec un mélange d’hydromel, de pomme épineuse, de
mandragore et de belladone, propre à susciter des cauchemars éveillés aussi
bien qu’à ôter toute peur. Sans doute ces hommes étaient-ils fous, ivres et
nus, mais ils étaient aussi dangereux, car ils n’avaient qu’un seul but :
abattre les commandants ennemis. Ils se ruèrent sur moi, la bouche écumant des
herbes magiques qu’ils avaient mâchonnées, brandissant leur lance, prêts à
frapper.
Mes lanciers à
queue de loup avancèrent à leur rencontre. La mort n’inquiétait pas ces hommes
nus, qui se jetèrent sur mes lanciers comme si la pointe de leurs lances était
la bienvenue. L’un de mes hommes dut reculer devant une brute nue qui lui
déchirait les yeux et lui crachait à la figure. Issa tua le démon, mais un autre
parvint à tuer l’un de mes meilleurs hommes et il cria victoire, jambes
écartées, bras tendus, brandissant sa lance ensanglantée d’une main couverte de
sang, et mes hommes crurent tous que les Dieux nous avaient désertés, mais
Sagramor l’éventra puis lui trancha la tête avant même que le corps ne
s’effondrât sur le sol. Il cracha sur le cadavre nu et éviscéré, puis cracha de
nouveau en direction du mur de boucliers ennemi. Voyant que le centre de notre
ligne était désorganisé, le mur chargea.
Reformé à la hâte,
notre centre vacilla sous le choc. La maigre ligne d’hommes déployée en travers
de la route ploya comme un jeune plant, mais, tant bien que mal, résista. Nous
nous encouragions mutuellement, invoquant les Dieux, piquant et taillant,
tandis que Morfans et ses hommes remontaient le mur de boucliers pour se lancer
dans la bagarre chaque fois que l’ennemi semblait sur le point de percer.
Protégés par la barricade, nos flancs étaient mieux lotis, mais au centre la
situation était désespérée. J’étais enragé maintenant, tout à l’ivresse de la
bataille. Je perdis ma lance dans la poigne d’un ennemi, tirai Hywelbane, mais
retins son premier coup pour laisser un bouclier ennemi frapper l’argent lustré
d’Arthur. Les boucliers se heurtèrent avec fracas, j’entrevis le visage de
l’ennemi et, lançant Hywelbane, sentis la pression de son bouclier se relâcher.
L’homme tomba, son corps formant une barrière que devaient escalader ses
camarades. Issa tua un homme, puis reçut un coup de lance dans le bras gauche.
La manche ensanglantée, il dut cesser le combat. Je frappais comme un forcené
dans l’espace libéré par l’ennemi abattu pour ouvrir un trou dans le mur de
Gorfyddyd. Je vis une fois le roi ennemi, observant depuis son cheval l’endroit
où je me trouvais, exhortant ses hommes à venir me prendre mon âme. Certains
jouèrent d’audace, croyant donner matière à chansons quand ils se
transformaient simplement en charpie. Hywelbane dégoulinait de sang, ma main
droite en était toute poisseuse et la manche de ma cotte de mailles en était
maculée, mais ce sang n’était pas le mien.
Sans la
protection des arbres entremêlés, le centre de notre ligne fut à un moment tout
près d’être enfoncé, mais deux cavaliers
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