Le Roi de l'hiver
tète le sang d’un prince
en même temps que le lait maternel. Les jours rallongeant, le cœur de Nimue se
fit plus léger. Les cicatrices de nos mains avaient viré du rose au blanc pour
ne plus laisser qu’une ligne un peu plus sombre. Nimue n’en parlait jamais.
Le Grand Roi
passa une semaine à Caer Cadarn, où l’on transporta l’Edling afin que son
grand-père pût le voir. Uther dut approuver ce qu’il vit, et les augures
printaniers étaient tous propices, car trois semaines après Beltain nous
apprîmes que le Grand Conseil au complet, le premier à se tenir en Bretagne
depuis plus de soixante ans, allait décider de l’avenir du royaume, de Norwenna
et de Mordred.
C’était le
printemps, les feuilles étaient vertes, le réveil de la nature était riche de
grandes promesses.
Le Grand
Conseil se réunit à Glevum, cité romaine qui s’étendait sur les rives du
Severn, juste au-delà de la frontière septentrionale de la Dumnonie avec le
Gwent. Uther y fut transporté sur un char tiré par quatre bœufs, chaque animal
étant décoré de brins d’aubépine et sellé d’un linge vert. En ce début d’été,
le Grand Roi apprécia sa pesante progression
à travers son royaume, peut-être parce qu’il savait que ce serait
sa dernière vision des charmes de la Bretagne avant de passer par la Grotte de
Cruachan et sur le pont qui mène aux Enfers. Les haies entre lesquelles
cheminait son attelage étaient blanches d’aubépine, les bois étaient parsemés
de campanules tandis que les coquelicots étincelaient parmi les blés, le seigle
et l’orge et dans les champs de foin presque mûrs où s’affairaient les râles
des genêts. Le Grand Roi voyageait lentement, s’arrêtant souvent dans les
hameaux et dans les villas, où il inspectait les terres et les domaines, et
prodiguait ses conseils à des hommes qui savaient mieux que lui aménager un
bassin de foulage ou châtrer un pourceau. Il se baigna dans les sources chaudes
d’Aquae Sulis, et il était si bien rétabli quand il quitta la cité qu’il
parcourut à pied un bon kilomètre avant de se faire aider pour remonter dans
son attelage capitonné de fourrures. Il s’était fait accompagner de ses bardes,
de ses conseillers, de son médecin, de son chœur, d’un cortège de serviteurs et
d’une escorte de guerriers placés sous les ordres d’Owain, son champion et le
chef de sa garde. Tout le monde avait des fleurs et les guerriers portaient
leurs boucliers à l’envers pour bien montrer que leur marche était pacifique,
bien qu’Uther fût trop vieux et trop avisé pour ne point s’assurer que leurs
pointes de lances fussent dûment affilées chaque jour.
J’allai à
Glevum. Je n’avais rien à y faire, mais Uther avait convié Morgane au Grand
Conseil. Les femmes étaient d’ordinaire tenues à l’écart de ces réunions,
grandes ou petites, mais Uther estimait que nul ne pouvait mieux que Morgane
s’exprimer au nom de Merlin et, désespérant de revoir ce dernier, il s’était
adressé à elle. En outre, elle était la fille naturelle d’Uther, et le Grand
Roi aimait à dire qu’il y avait plus de bon sens dans la tête enveloppée d’or
de Morgane que dans le crâne de la moitié de ses conseillers réunis. Morgane
était aussi responsable de la santé de Norwenna, et c’est de l’avenir de
celle-ci qu’on devait décider, bien que Norwenna elle-même ne fût ni convoquée
ni consultée. Elle demeura à Ynys Wydryn, aux soins de Gwendoline, l’épouse de
Merlin. Morgane serait allée seule à Glevum, avec Sebile, son esclave, si à la
dernière minute Nimue n’avait calmement annoncé qu’elle devait s’y rendre elle
aussi et que je devais l’accompagner.
Naturellement,
Morgane fit des embarras, mais à l’indignation de son aînée Nimue opposa un
calme exaspérant. « J’ai été initiée », dit-elle à Morgane, et lorsque
celle-ci lui demanda d’une voix suraiguë par qui, Nimue se contenta d’un
sourire. Morgane était deux fois plus grande que Nimue et avait deux fois son
âge, mais lorsque Merlin avait pris Nimue dans son lit, le pouvoir à Ynys
Wydryn lui avait échu, et, face à cette autorité, l’aînée était démunie. Elle
s’opposa encore à ma venue. Elle exigea de savoir pourquoi Nimue n’emmenait pas
Lunete, l’autre fille irlandaise parmi les pupilles de Merlin. Un garçon comme
moi, assura Morgane, n’était pas une compagnie pour une jeune femme et,
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