Le Roi de l'hiver
Nimue
se contentant de sourire, Morgane éructa qu’elle dirait à Merlin que Nimue
s’était entichée de moi et que son sort serait scellé. Face à cette menace
malhabile, Nimue s’esclaffa et lui tourna le dos.
Je ne me
souciais guère de cette dispute. Je voulais aller à Glevum, voir les joutes,
entendre les bardes, regarder les danses et, par-dessus tout, rester avec
Nimue.
Ainsi, quatuor
mal assorti, prîmes-nous la route de Glevum. Morgane, son bâton d’épine noire à
la main et son masque d’or étincelant au soleil d’été, clopinait en tête, son
déhanchement rappelant à chacun de ses pas pesants qu’elle désapprouvait la
compagnie de Nimue. Sebile, l’esclave saxonne, hâtait le pas derrière sa
maîtresse, le dos ployant sous le poids des litières, des herbes et des
ustensiles. Nimue et moi marchions derrière, pieds et tête nus, sans chargement
aucun. Nimue avait passé un long manteau noir sur une robe blanche serrée à la
taille par une corde d’esclave. Ses longs cheveux noirs rassemblés en chignon,
elle ne portait aucun bijou, pas même une épingle en os pour attacher son
manteau. Morgane portait un lourd torque doré autour du cou et son manteau brun
était fermé à hauteur des seins par deux broches d’or, dont une en forme de
cerf à trois cornes, l’autre étant le fameux dragon que lui avait offert Uther
à Caer Cadarn.
Je pris
plaisir au voyage. Il nous fallut trois jours, à pas lents, car Morgane n’était
pas une bonne marcheuse, mais le soleil brillait et la Voie romaine nous
facilitait la tâche. A la brune, nous nous réfugiions dans le château le plus
proche et, en qualité d’hôtes d’honneur, dormions dans la grange emplie de
paille. Nous croisâmes peu d’autres voyageurs, et tous nous cédèrent le
passage, car le blason éclatant de Morgane était le symbole de son rang élevé.
On nous avait mis en garde contre les hommes sans feu ni lieu qui détroussaient
les marchands sur les grands-routes, mais personne ne nous menaça, peut-être
parce que les soldats d’Uther avaient préparé le Grand Conseil en écumant les
bois et les collines à la recherche de brigands, et nous vîmes une bonne
douzaine de corps en putréfaction placés sur les bas-côtés en guise
d’avertissement. Les serfs et les esclaves s’agenouillaient devant Morgane, les
marchands lui cédaient le passage. Seul un voyageur osa défier notre
autorité : un prêtre à la barbe sauvage suivi de femmes échevelées en
haillons. Le groupe chrétien suivait la route en dansant, louant leur Dieu
cloué, mais lorsque le prêtre vit le masque d’or qui recouvrait le visage de
Morgane, le triple andouiller et le dragon ailé de ses broches, il s’emporta
contre cette créature du Malin. Le prêtre a dû croire qu’une femme ainsi
masquée et boitillante serait une proie facile pour ses sarcasmes, mais un
prédicateur errant accompagné de son épouse et de prostituées sacrées n’était
pas de taille à affronter la fille d’Igraine, la pupille de Merlin et la sœur
d’Arthur. Morgane le frappa à l’oreille d’un simple coup qui l’envoya
valdinguer dans un fossé envahi par les orties et elle poursuivit son chemin
sans guère un regard en arrière. Les femmes du prêtre poussèrent des cris
perçants et s’écartèrent. D’aucunes prièrent, d’autres éructèrent des
malédictions, mais Nimue glissa tel un esprit à travers leur malveillance.
Je n’avais aucune
arme, sauf à compter mon bâton et mon couteau au nombre des accoutrements d’un
guerrier. J’avais voulu emporter une épée et une lance, afin de paraître plus
âgé, mais Hywel s’était moqué de moi : un homme se révèle par ses faits et
gestes, non par ses fantaisies. Pour ma protection, il me remit un torque de
bronze auquel était pendue une effigie du Dieu cornu de Merlin. Personne,
assurait-il, n’oserait défier Merlin. Malgré tout, je me sentais inutile sans
les armes d’un homme. Pourquoi étais-je là ? demandai-je à Nimue.
« Parce
que tu es mon ami assermenté, mon petit. »
J’étais déjà
plus grand elle, mais elle employait ce mot affectueusement.
« Et
parce que toi et moi sommes choisis par Bel, et s’il nous choisit, nous devons
nous choisir l’un l’autre.
— Alors
pourquoi allons-nous tous les deux à Glevum ? voulus-je savoir.
— Parce
que Merlin le veut, naturellement.
— Y
sera-t-il ? » demandai-je avidement. Il y avait si longtemps que
Merlin
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