Le Roi de l'hiver
car j’en avais déjà
entendu beaucoup parler. Merlin ne cessait de nous raconter comment Rome avait
brisé le lien entre la Bretagne et les Dieux, mais il n’avait jamais expliqué
comment la chose était possible si les Dieux étaient si puissants.
« Pourquoi n’avons-nous pas défait les Romains ? demandai-je à Nimue.
— Parce
que les Dieux ne l’ont pas voulu. Certains Dieux sont méchants, Derfel. Qui
plus est, ils n’ont pas de devoir envers nous. Nous seuls en avons envers eux.
Peut-être cela les amusait-il ? Ou peut-être que nos ancêtres avaient
enfreint le pacte, et que les Dieux les ont punis en leur envoyant les Romains.
Nous n’en savons rien, mais ce que nous savons, c’est que les Romains sont
partis, et Merlin dit que nous avons une chance, juste une chance, de restaurer
la Bretagne. » Elle s’exprimait d’une voix basse et intense. « Il
nous faut refaire la vieille Bretagne, la vraie Bretagne, la terre des Dieux et
des hommes, et si nous le faisons, Derfel, si nous le faisons, le pouvoir des
Dieux sera une fois de plus avec nous. »
J’avais envie
de la croire. Je brûlais de croire que nos vies brèves, assaillies par la
maladie et hantées par la mort, pourraient bénéficier d’un nouvel espoir par la
grâce et le bon vouloir de créatures surnaturelles au glorieux pouvoir.
« Mais il n’y a pas d’autre solution que la supercherie ? »
demandai-je sans dissimuler ma désillusion.
« Oh,
Derfel ! » Nimue laissa retomber ses épaules. « Réfléchis un
peu. Tout le monde ne saurait éprouver la présence des Dieux, si bien que ceux
qui en sont capables sont investis d’une mission particulière. Si je me montre
faible, si je cède à un instant d’incrédulité, quel espoir reste-t-il à ceux
qui ont envie de croire ? Ce ne sont pas vraiment des trucs, ce
sont... » Elle marqua un temps de pause, cherchant le mot juste. « Ce
sont des insignes. Tout comme la couronne d’Uther, ses torques, son étendard et
sa pierre, à Caer Cadarn. Toutes ces choses nous disent qu’Uther est le Grand
Roi, et nous le traitons en conséquence. Quand Merlin marche parmi les siens,
il doit porter ses insignes, lui aussi, histoire de dire aux gens qu’il est en
contact avec les Dieux et qu’on le craigne en conséquence. » Elle pointa
du doigt la porte éventrée par le fer de lance. « Quand j’ai franchi cette
porte, nue, avec deux serpents, et une chauve-souris cachée sous la peau d’un
homme mort, j’affrontais un roi, son druide et ses guerriers. Une fille,
Derfel, contre un roi, un druide et la Garde royale. Qui a gagné ?
— Toi.
— C’est
donc que le tour a marché, mais il n’était pas en mon pouvoir d’en décider. Ce
pouvoir appartenait aux Dieux, mais il me fallait croire en ce pouvoir pour
qu’il puisse opérer. Et pour croire, Derfel, il faut y consacrer sa vie. »
Elle s’exprimait maintenant d’une voix passionnée, avec une rare ferveur.
« À chaque instant du jour et de la nuit, tu dois être ouvert aux Dieux,
et si tu l’es, ils viendront. Pas toujours quand tu as besoin d’eux, c’est entendu,
mais si tu ne demandes jamais, ils ne répondront jamais ; en revanche,
lorsqu’ils répondent, Derfel, quand ils le font, c’est prodigieux et tellement
terrifiant, comme d’avoir des ailes qui t’élèvent dans la plus haute des
gloires. » Ses yeux étincelaient. Jamais je ne l’avais entendue parler de
ces choses. Il n’y a pas si longtemps, elle n’était encore qu’une enfant, mais
maintenant elle était passée par la couche de Merlin et avait reçu son
enseignement et son pouvoir. Je lui en voulais. J’étais jaloux et contrarié, et
je ne comprenais pas. Elle s’éloignait de moi et je n’y pouvais rien.
« Je suis
ouvert aux Dieux, dis-je avec rancœur. Je crois en eux, je désire leur
aide. »
Elle
m’effleura le visage de sa main bandée. « Tu vas être un guerrier, Derfel,
un très grand guerrier. Tu es brave, tu es franc, tu es aussi robuste que la
Tour de Merlin et il n’y a pas une once de folie en toi. Pas une trace, pas
même une étincelle sauvage et désespérée. Crois-tu que j’aie envie de suivre
Merlin ?
— Oui,
répondis-je, blessé. Je sais bien que oui. » Je voulais dire, bien sûr,
que j’étais blessé parce qu’elle ne se consacrerait pas à moi.
Elle respira à
pleins poumons et son regard se porta sous le toit ombragé où deux pigeons
s’étaient réfugiés par un trou de
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