Le Roi de l'hiver
que sa petite main me semblait
glaciale dans mon étreinte ensanglantée.
« Un
jour, Derfel, je t’appellerai, et si tu ne viens pas, cette cicatrice te
marquera à jamais auprès des Dieux comme un faux ami, un traître et un ennemi.
— Oui »,
fis-je.
Elle me
dévisagea quelques secondes en silence, puis grimpa sur le tas de fourrures et
de couvertures et se blottit dans mes bras. Il n’était pas commode de
s’allonger l’un à côté de l’autre car nos mains gauches étaient encore liées,
mais nous réussîmes à nous mettre à l’aise et demeurâmes couchés. Des voix
résonnaient au-dehors ; la poussière volait dans la grande pièce obscure
où dormaient les chauves-souris et chassaient les chatons. Il faisait froid,
mais Nimue tira une peau sur nous deux puis s’endormit, mon bras droit
s’engourdissant sous le poids de son petit corps. Je restai éveillé, effrayé et
perplexe, l’esprit occupé par ce que le couteau avait créé entre nous.
Elle se
réveilla au milieu de l’après-midi. « Gundleus s’en est allé »,
dit-elle somnolente, sans que je comprisse comment elle le savait, puis elle
s’arracha à mon étreinte et aux fourrures entremêlées avant de dénouer le
manteau encore enroulé autour de nos mains. Le sang s’était coagulé et avait
formé des croûtes : la séparation rouvrit douloureusement nos plaies.
Nimue se dirigea vers le faisceau de lances et arracha une poignée de toiles
d’araignées qu’elle me fourra dans la main. « Ça cicatrisera
bientôt », dit-elle distraitement, puis, sa main entaillée enveloppée dans
un chiffon, elle prit du pain et du fromage. « N’as-tu pas faim ?
— Toujours. »
Nous
partageâmes le repas. Le pain était sec et dur, et le fromage avait été
grignoté par des souris. Tout au moins Nimue le croyait-elle.
« À moins
que ce ne soient les chauves-souris, dit Nimue. Les chauves-souris mangent du
fromage ?
— Je ne
sais pas », répondis-je, puis je me fis hésitant. « Était-ce une
chauve-souris apprivoisée ? » Je voulais parler de l’animal qu’elle
avait attaché dans ses cheveux. J’avais déjà vu des choses de ce genre
auparavant, bien sûr, mais Merlin n’en parlait jamais, ses acolytes non plus,
et je soupçonnais maintenant qu’après l’étrange cérémonie de nos mains
ensanglantés Nimue me mettrait dans la confidence.
Et, de fait,
elle hocha la tête. « C’est un vieux truc pour effrayer les sots,
m’expliqua-t-elle avec hauteur. C’est Merlin qui me l’a appris. Tu mets des
jets aux pattes de la chauve-souris, comme les jets des faucons, puis tu
attaches les jets à tes cheveux. » Elle se passa la main dans ses cheveux
noirs puis rit de bon cœur. « Et il a eu la frousse, Tanaburs ! Tu
imagines ! Lui, un druide ! »
Ça ne
m’amusait pas. Je voulais croire à sa magie, non m’entendre dire que c’était un
tour que l’on jouait avec les longes de faucons. « Et les serpents ?
demandai-je.
— Il les
garde dans un panier. C’est moi qui dois les nourrir. » Elle frissonna,
puis elle vit mon air dépité. « Qu’est-ce qui ne va pas ?
— Tout
cela n’est que supercherie ? »
Elle fronça
les sourcils et garda le silence un bon moment. Je crus qu’elle allait me
laisser sans réponse, mais elle finit par s’expliquer et je sus, en l’écoutant,
que j’apprenais les choses que Merlin lui avait enseignées. La magie, dit-elle,
opérait au temps où la vie des Dieux croisait celle des hommes, mais il
n’appartenait pas aux hommes d’en décider. « Je ne puis embuer cette pièce
sur un simple claquement de doigts, expliqua-t-elle, mais cela arrive, je l’ai
vu. Je ne puis réveiller les morts, mais Merlin assure qu’il l’a vu faire. Je
ne puis ordonner à la foudre de frapper Gundleus, bien que je le souhaite
ardemment, seuls les Dieux le peuvent. Mais il fut un temps, Derfel, où nous
pouvions faire ces choses-là, où nous vivions avec les Dieux : nous les
contentions et nous pouvions user de leurs pouvoirs pour préserver la Bretagne
telle qu’ils la souhaitaient. Nous exécutions leurs ordres, tu comprends, mais
leurs ordres ne faisaient qu’un avec notre désir. » Elle serra les mains
pour souligner son propos, mais la douleur de sa blessure se réveilla sous
l’effet de la pression et la fit tressaillir. « Ensuite les Romains sont
venus et ils ont rompu le pacte.
— Mais
pourquoi ? » l’interrompis-je avec impatience,
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