Le Roi de l'hiver
collines et de s’enfoncer dans la vallée de Dinnewrac si les
guerriers du roi n’avaient reçu l’ordre de nous protéger. Mais, à mon sens,
même l’amitié du roi ne saurait le gagner à l’idée que Frère Derfel écrive
l’histoire du roi Arthur, l’Ennemi de Dieu ; aussi Igraine et moi
avons-nous menti au bienheureux saint en lui faisant croire que je couchais par
écrit une traduction de l’Évangile de Notre Seigneur Jésus-Christ dans la
langue des Saxons. Le saint homme ne parle ni ne lit la langue ennemie, et nous
devrions pouvoir le duper le temps d’écrire ce récit.
Et il faudra
bien lui donner le change car, peu de temps après que j’eus entrepris d’écrire
sur cette peau, le saint homme est entré dans le château. Posté à la fenêtre,
il a scruté le ciel blafard et s’est frotté les mains.
« J’aime
le froid, dit-il, sachant bien que ce n’était pas mon cas.
— C’est
ma main manquante qui me fait le plus mal », répondis-je d’une voix douce.
J’ai perdu la
main gauche et je me sers de mon moignon bosselé pour tenir le parchemin tandis
que j’écris.
« Toute
souffrance est un bienfait qui nous rappelle la Passion de notre cher
Seigneur », observa l’évêque, ainsi que je m’y attendais, puis il se
pencha sur la table pour voir ce que j’avais écrit. « Derfel, dis-moi ce
que signifient ces mots.
— J’écris
l’histoire de la naissance de l’enfant-Jésus », répondis-je en mentant.
Il fixa le
parchemin, puis pointa un doigt crasseux en direction de son nom. Il parvient à
déchiffrer quelques lettres et son nom a dû se détacher du parchemin, aussi
noir qu’un corbeau dans la neige. Puis il a ricané comme un sale gosse et a
entortillé une mèche de mes cheveux blancs autour de ses doigts.
« Je
n’étais pas présent à la naissance de Notre Seigneur, Derfel, et pourtant ceci
est mon nom. Écrirais-tu une hérésie, crapaud de l’enfer ?
— Seigneur,
répondis-je humblement, tandis qu’il m’obligeait, par son étreinte, à garder le
nez collé sur mon travail, j’ai commencé l’Évangile en rapportant que c’est
seulement par la grâce de Notre Seigneur Jésus-Christ et avec la permission de
son très saint Sansum – sur ce, je pointai le doigt vers son nom –
que je puis coucher par écrit la bonne nouvelle. »
Il me tira les
cheveux. Quelques-uns restèrent dans ses mains, et il recula.
« Tu es
le rejeton d’une putain saxonne, me lança-t-il. Et on ne saurait se fier à un Saxon.
Prends garde de ne point m’offenser.
— Mon bon
Seigneur ! » fis-je, mais déjà il ne pouvait plus m’entendre.
Il fut un
temps où il ployait le genou devant moi et baisait mon épée, mais maintenant
que le voilà saint, je ne suis que le plus misérable des pécheurs. Et un
pécheur gelé, car la lumière, par-delà les murs, est blafarde, grise et lourde
de menaces. La première neige tombera bientôt.
Et il neigeait
lorsque commencèrent les aventures d’Arthur. C’était il y a bien longtemps de
cela, dans la dernière année de règne du Grand Roi Uther. Cette année-là,
suivant le comput des Romains, on était en l’an 1233 après la fondation de leur
cité, même si nous, en Bretagne, nous avons coutume de compter les années
depuis l’Année Noire qui vit les Romains massacrer les druides d’Ynys Mon.
Suivant ce comput, l’histoire d’Arthur commence en l’an 420, bien que Sansum,
que Dieu le bénisse, compte les ans à partir de la naissance de Notre Seigneur
Jésus-Christ qui, à ce qu’il croit, aurait eu lieu 480 hivers avant le
commencement de ces aventures. Mais comptez comme vous voulez : c’était il
y a bien longtemps, au temps jadis, dans un pays appelé la Bretagne, et j’étais
là. Voici comment les choses se sont passées.
*
Tout a
commencé par une naissance.
Par une nuit
glaciale, alors que le royaume était encore paisible et blanc sous la lune à
son déclin.
Et, dans le
château, Norwenna hurla.
Elle hurla.
Il était
minuit. Le ciel était clair, sec et parsemé d’étoiles. La terre était gelée,
dure comme fer, et les cours d’eau saisis par la glace. La lune à son décours
était de mauvais augure et, sous sa triste lumière, les terres de l’ouest
semblaient rayonner d’une pâle et froide lueur. Il n’avait pas neigé depuis
trois jours, et il n’y avait pas eu non plus le moindre dégel, si bien que tout
était blanc, sauf les arbres que le vent
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