Le Roi de l'hiver
qui d’autre, fit-il à voix basse. Mais il est une chose que tu peux
faire pour moi.
— Je
ferai n’importe quoi, Seigneur, n’importe quoi. »
Et à cet
instant je crois que j’aurais même accepté d’affronter Owain pour lui.
« Un
homme qui se lance dans la bataille, Derfel, dit-il prudemment, doit savoir que
sa cause est juste. Peut-être les Irlandais au Bouclier-noir ont-ils porté
leurs boucliers à travers la lande sans que personne ne les voie. Peut-être
leurs druides leur ont-ils donné des ailes ? Ou peut-être, demain, s’ils
s’y intéressent, les Dieux penseront-ils que ma cause est juste. Qu’en
penses-tu ? »
II posa la
question aussi innocemment que s’il s’enquérait du temps. Je le regardais,
subjugué, désirant par-dessus tout qu’il évite ce défi contre la meilleure épée
de Dumnonie.
« Eh
bien ?
— Les
Dieux... », commençai-je, mais j’eus du mal à poursuivre, car Owain avait
été bon pour moi. Le champion n’était certes pas un honnête homme, mais je
pouvais compter sur les doigts le nombre d’honnêtes hommes que j’avais
rencontrés, et malgré sa friponnerie je l’aimais bien. Et pourtant j’aimais
beaucoup plus cet honnête homme. Je réfléchis pour savoir si, oui ou non, mes
paroles allaient trahir mon serment, puis décidai qu’il n’en était rien.
« Les
Dieux te soutiendront, Seigneur, finis-je par dire.
— Merci,
Derfel, fit-il dans un sourire triste.
— Mais
pourquoi ? »
C’était parti
à la volée. Il soupira et se retourna vers le pays inondé de la lumière de la
lune.
« Quand
Uther est mort, reprit-il au bout d’un bon moment, le pays a sombré dans le
chaos. Voilà ce qui arrive à un pays sans roi, et nous sommes sans roi
maintenant. Nous avons Mordred, mais ce n’est qu’un enfant, et quelqu’un doit
exercer le pouvoir avant qu’il ne soit en âge de le faire. Un seul, Derfel, pas
trois ni quatre ni dix, un seul. J’aurais tellement voulu qu’il en soit
autrement. Du fond du cœur, tu peux me croire, j’aurais aimé laisser les choses
en l’état. Je préférerais vieillir avec Owain pour ami, mais c’est impossible.
Il faut exercer le pouvoir pour Mordred, et il faut le faire correctement,
justement, pour le lui remettre intact. Ce qui veut dire qu’on ne peut se
permettre de perpétuelles chamailleries entre les hommes qui veulent accaparer
le pouvoir du roi à leur seul profit. Un homme doit être roi, qui n’est pas un
roi, et cet homme devra abandonner les pouvoirs du royaume le jour où Mordred
sera en âge de prendre les rênes. Et c’est la mission des soldats, pas
vrai ? Ils livrent des batailles pour des gens qui sont trop faibles pour
se battre eux-mêmes. Eux aussi – il souriait maintenant – prennent
ce dont ils ont envie, et demain je veux quelque chose d’Owain ; je veux
son honneur, et je l’aurai. »
Il haussa les
épaules.
« Demain,
je combats pour Mordred et pour cette enfant. Et toi, Derfel, fit-il en me
donnant une bourrade sur la poitrine, tu lui trouveras un chaton. »
Il frappa du
pied pour se réchauffer puis scruta l’horizon, à l’ouest.
« Tu
crois que ces nuages vont nous apporter la pluie ou la neige dans la
matinée ?
— Je ne
sais pas, Seigneur.
— Espérons-le.
Dis-moi, je sais que tu as eu une conversation avec ce malheureux Saxon qu’ils
ont tué pour lire l’avenir. Dis-moi ce qu’il t’a raconté. Plus on en sait sur
nos ennemis, mieux ça vaut. »
Il me
raccompagna à mon poste, écouta ce que j’avais à dire sur Cerdic, le nouveau
chef saxon de la côte sud, puis alla se coucher. Ce qui devait arriver dans la
matinée le laissait apparemment de marbre, alors que moi j’étais terrorisé. Je
me souvenais comment Owain avait résisté aux assauts conjugués des deux
champions de Tewdric et j’essayai d’adresser une prière aux étoiles, qui sont
les demeures des Dieux, mais je ne pouvais les voir parce que mes yeux étaient
noyés de larmes.
La nuit fut
longue et glaciale. Mais j’aurais voulu que jamais l’aube ne pointât.
Le désir
d’Arthur fut exaucé. À l’aube, il se mit à pleuvoir. Bientôt, c’est une pluie
battante qui enveloppa d’un voile gris la longue et large vallée qui s’étend
entre Caer Cadarn et Ynys Wydryn. Les fossés débordaient ; l’eau coulait à
flots des remparts et formait des flaques sous les égouts de la grande salle.
De la fumée s’échappait des trous des toits de
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