Le Roman d'Alexandre le Grand
d’Eumène »,
songea Alexandre.
« Mais pourquoi ne me parles-tu
pas ? poursuivit Philippe d’une voix plus calme. Pourquoi ne parles-tu pas
à ton père ?
— Tu m’avais préféré Arrhidée,
cette espèce de crétin.
— Justement ! cria à
nouveau Philippe en abattant son poing sur la table. Et cela ne t’a pas mis la
puce à l’oreille ? Est-ce ainsi qu’Aristote t’a appris à
raisonner ? »
Alexandre resta silencieux ;
Philippe se leva, fit les cent pas dans la pièce en boitant.
« Les problèmes que je t’ai
créés sont-ils donc si graves ? demanda bientôt le prince.
— Non, répondit Philippe. Même
si une alliance matrimoniale avec un satrape perse pouvait m’être utile alors
que je m’apprête à passer en Asie. Mais il y a un remède à tout.
— Je suis désolé. Cela ne se
reproduira plus. J’attends que tu m’attribues ma place au mariage de Cléopâtre.
— Ta place ? C’est celle
qui revient à l’héritier du trône, mon fils. Va voir Eumène : il sait
tout, car il a organisé la cérémonie dans les moindres détails. »
À ces mots, Alexandre rougit
violemment. Il aurait voulu embrasser son père comme du temps où celui-ci lui
rendait visite à Miéza. Mais il ne parvint pas à vaincre la pudeur et
l’embarras qu’il éprouvait en sa présence depuis le jour où leurs rapports
s’étaient dégradés. Il lui lança toutefois un regard ému, presque triste, et
son père comprit. En effet il dit :
« Et maintenant, débarrasse-moi
le plancher, car j’ai du travail. »
« Viens, lui demanda Eumène. Il
faut que tu voies de quoi ton ami est capable. Ce mariage sera le chef-d’œuvre
de ma vie. Le roi a écarté les maîtres de cérémonie et les chambellans pour me
confier l’entière responsabilité de l’organisation. Et maintenant, annonça-t-il
en ouvrant une porte et en poussant Alexandre à l’intérieur d’une pièce,
regarde-moi ça ! »
Le prince se trouvait dans une des
salles de l’armurerie royale, qu’on avait totalement vidée pour y installer une
grande table reposant sur des tréteaux. Y trônait une maquette du palais royal
d’Aigai, sanctuaires et théâtre compris.
Les bâtiments étaient privés de
toit, et on pouvait en voir l’intérieur, où l’on avait placé des figurines de
terre cuite en couleurs. Elles représentaient les personnages qui
participeraient aux cérémonies solennelles.
Eumène s’approcha et s’empara d’une
baguette, sur la table.
« Ici, expliqua-t-il en
indiquant une grande salle ouverte sur un portique à colonnes, aura lieu le
mariage, ainsi que la grande procession qui s’ensuivra, un événement
extraordinaire, encore jamais vu.
« La procession se déroulera au
terme de la cérémonie, alors que la mariée sera conduite par ses dames dans la
chambre nuptiale, pour le rituel du bain et de la coiffure : devant, les
statues des douze dieux de l’Olympe – celles que tu vois ici – seront portées
sur les épaules par des assistants. Il y aura aussi la statue de ton père, qui
symbolisera ses sentiments religieux et sa fonction de dieu tutélaire de tous
les Grecs.
« Au centre, le roi avancera
dans un manteau blanc, la tête ceinte d’une couronne de feuilles de chêne en
or. Tu marcheras à sa droite, un peu en avant, en ta qualité d’héritier du
trône ; l’époux, Alexandre d’Épire, sera à sa gauche. Vous vous dirigerez
ensemble vers le théâtre, que voici.
« Les invités et les
délégations étrangères auront pris place dans les premières lueurs de l’aube,
et assisté à des spectacles et des scènes jouées par des acteurs célèbres venus
tout exprès d’Athènes, de Sicyone, de Corinthe, dont Thessalos, que, me dit-on,
tu admires entre tous. »
Alexandre lissa son manteau blanc
sur ses épaules et échangea un regard rapide avec son oncle. Tous deux
précédaient de peu Philippe, accompagné par sa garde et vêtu d’une tunique
rouge bordée d’or, à motifs d’ovules et de petites palmes, et d’un manteau
blanc fort riche, son sceptre d’ivoire à la main droite et sa couronne de
feuilles de chêne sur la tête. Sa silhouette rappelait la figurine qu’Eumène
avait montrée au prince sur la maquette, dans la salle d’armes.
Les cordonniers royaux lui avaient
confectionné une paire de cothurnes dignes d’un acteur tragique, que l’ourlet
de sa robe dissimulait, et dont l’épaisseur – différente selon le pied –
corrigeait
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