Le Roman d'Alexandre le Grand
passé plus de temps en sa compagnie qu’en la
mienne. Et Attale n’a-t-il pas affirmé que sa fille accoucherait de l’héritier
légitime ? Eh bien, un garçon vient de naître. »
Eumène observa un instant de
silence. Il regardait Alexandre arpenter la pièce, attendant qu’il se calme.
Quand il le vit s’immobiliser devant la fenêtre, le dos tourné, il reprit la
parole :
« Il faut que tu obtiennes une
entrevue avec ton père, même s’il a plutôt, à l’heure qu’il est, envie de
t’égorger. Et il n’a pas entièrement tort.
— Tu vois ? Tu es dans son
camp !
— Tais-toi ! Cesse de me
traiter de cette façon ! Je me suis toujours comporté loyalement à l’égard
de ta famille. J’ai toujours essayé d’apaiser vos querelles car je considère
ton père comme un grand homme, le plus grand que l’Europe ait jamais connu
depuis un siècle, et parce que j’ai de l’affection pour toi, maudit têtu !
Allez, donne-moi un exemple, un seul exemple d’action commise contre toi, de
chagrin que je t’ai causé depuis que nous nous connaissons, c’est-à-dire depuis
de nombreuses années ! Vas-y, parle, j’attends. »
Alexandre ne répondit pas. Il se
tordait les mains et se gardait bien de se retourner, voulant cacher les larmes
qui embuaient ses yeux. Il se sentait bouillir de rage, car il se rendait
compte que la colère de son père l’effrayait encore comme au temps de son
enfance.
« Il faut que tu l’affrontes.
Maintenant. Maintenant qu’il est furieux de ce que tu as fait. Montre-lui que
tu n’as pas peur, que tu es un homme, que tu es digne de t’asseoir un jour sur
son trône. Admets ton erreur et demande-lui pardon. C’est cela, le vrai
courage.
— D’accord, accepta Alexandre.
Mais rappelle-toi que Philippe s’est déjà précipité sur moi en brandissant une
épée.
— Il était soûl.
— Pourquoi, comment est-il à
présent ?
— Tu es injuste envers lui. Il
a fait pour toi tout ce qui était en son pouvoir. Sais-tu combien il a investi
sur ta personne ? Le sais-tu ? Eh bien moi, je le sais, parce que je
tiens ses comptes et parce que je classe ses archives.
— Je ne veux pas le savoir.
— Au moins cent talents, une
somme disproportionnée : un quart du trésor de la ville d’Athènes au
sommet de sa splendeur.
— Je ne veux pas le
savoir !
— Il a perdu un œil au combat,
et il est boiteux pour le restant de ses jours. Il a construit pour toi le plus
vaste empire qui ait jamais existé à l’ouest des Détroits, et maintenant qu’il
t’offre l’Asie, tu contrecarres ses projets, tu lui reproches les quelques
plaisirs qu’un homme de son âge peut encore tirer de la vie. Va le trouver,
Alexandre, et parle-lui, avant qu’il en prenne lui-même l’initiative.
— D’accord ! Je vais
l’affronter. » Et il sortit en claquant la porte.
Eumène le poursuivit dans le
couloir. « Attends ! Attends donc !
— Quoi encore ?
— Laisse-moi d’abord lui dire
un mot. »
Alexandre s’effaça devant lui et, en
secouant la tête, le regarda gagner d’un pas rapide l’aile orientale du palais.
Eumène frappa et entra sans y être
invité.
« Qu’y a-t-il ? demanda
Philippe, le visage sombre.
— Alexandre veut te parler.
— Quoi ?
— Sire, ton fils regrette ce
qu’il a fait, mais essaie de le comprendre : il se sent seul, à l’écart.
Il a perdu ta confiance et ton amour. Ne peux-tu pas lui pardonner ? Au
fond, ce n’est encore qu’un adolescent, ou presque. Il a cru que tu l’avais
abandonné et il s’est laissé gagner par la peur. »
Eumène, qui s’attendait à une
explosion de colère incontrôlée, s’étonna de voir le souverain aussi calme. Il
en était presque impressionné.
« Te portes-tu bien,
sire ?
— Bien, bien. Fais-le
entrer. »
En sortant Eumène se heurta à
Alexandre, qui patientait dans le couloir, le visage blême.
« Ton père est très éprouvé,
affirma-t-il. Il est peut-être plus seul que toi. Souviens-t’en. »
Le prince franchit le seuil du
bureau.
« Pourquoi as-tu agi
ainsi ? interrogea Philippe.
— Je…
— Pourquoi ? hurla-t-il.
— Parce que je me sentais exclu
de tes décisions, de tes projets, parce que j’étais seul, que personne ne me
donnait ni aide ni conseils. J’ai cru affirmer ainsi la dignité de ma personne.
— En offrant ta main à la fille
d’un esclave du roi des Perses ? »
« Les mots
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