Le Roman d'Alexandre le Grand
reconnaissant de m’avoir demandé d’y
participer. »
Ptolémée brisa cette atmosphère de
mélancolie soudaine. « Tout cela m’a donné faim. Et si nous allions manger
une perdrix à la broche à l’auberge d’Eupite ?
— Oui, oui !
répondirent-ils tous.
— C’est Eumène qui paie !
s’écria Héphestion.
— Oui, oui, c’est Eumène qui
paie ! », répétèrent les autres, y compris le roi.
Le temple replongea bientôt dans le
calme. Seul le galop des chevaux, dont l’écho se perdait dans la nuit, troubla
un moment encore le silence.
À cet instant précis, au loin, dans
le palais de Boutrotos surplombant la mer, Cléopâtre ouvrait la porte de sa
chambre nuptiale et se préparait à recevoir son époux. Le deuil
traditionnellement prescrit aux jeunes mariées avait pris fin.
Le roi des Molosses fut accueilli
par un groupe de jeunes filles vêtues de blanc qui tenaient des flambeaux,
symboles d’amour ardent, et conduit le long de l’escalier jusqu’à une porte
entrouverte. L’une d’elles lui ôta son manteau blanc et poussa légèrement l’un
des battants. Puis elles s’éloignèrent dans le couloir, aussi légères que des
papillons de nuit.
Alexandre vit une lumière dorée et
tremblante se poser sur une chevelure aussi douce que l’écume : Cléopâtre.
Il se souvint de la fillette timide qu’il avait surprise tant de fois en train
de l’observer en cachette, dans le palais de Pella, avant de s’enfuir à toutes
jambes. Deux servantes s’affairaient autour d’elle : l’une brossait ses
cheveux tandis que l’autre dénouait la ceinture de son péplum nuptial et
dégrafait les attaches d’or et d’ambre qui le retenaient sur ses épaules
d’ivoire. La jeune femme se tourna vers la porte. Elle n’avait plus pour vêtement
que la lumière des lanternes.
Son mari entra et s’approcha pour
contempler la beauté de son corps de statue, pour s’enivrer un instant du
rayonnement qui émanait de son visage de déesse. Elle soutint son regard
brûlant, sans baisser ses longs cils humides. En cet instant précis, ses yeux
reflétaient la force sauvage d’Olympias et l’ardeur visionnaire d’Alexandre. Le
souverain tomba sous le charme avant même de pouvoir la serrer dans ses bras.
D’une caresse, il effleura son
visage et ses seins durcis. « Mon épouse, ma déesse… Combien de nuits
blanches ai-je passées dans cette maison en songeant à ta bouche de miel et à
ta poitrine ? Combien de nuits… »
Sa main glissa sur le ventre lisse
de la jeune femme, jusqu’au léger duvet. Il l’attira et la renversa sur le lit.
Il entrouvrit ses lèvres d’un baiser
enflammé, auquel elle répondit aussi passionnément, avec une force de plus en
plus ardente. En la pénétrant, il comprit qu’elle n’était pas vierge, que
d’autres avaient possédé son corps avant lui, mais il ne s’interrompit pas. Il
continua de lui donner tout le plaisir dont il était capable et de jouir de
leur étreinte, enfouissant son visage dans le nuage soyeux de ses cheveux,
laissant glisser ses lèvres sur sa peau parfumée, sur son cou, ses épaules et
sa superbe poitrine.
Il avait le sentiment de coucher
avec une déesse ; mais les mortels ne peuvent rien demander aux
déesses : ils doivent se contenter d’éprouver de la reconnaissance pour ce
qu’ils reçoivent d’elles.
Il se laissa finalement retomber,
épuisé, à ses côtés, tandis que les flammes des lanternes s’éteignaient l’une
après l’autre, faisant place à la pénombre laiteuse de la nuit lunaire.
Cléopâtre s’endormit, la tête posée
sur son large torse, terrassée par cette longue vague de plaisir et par la
fatigue qui pesait soudain sur ses yeux d’adolescente.
Pendant des jours et des nuits, le
roi des Molosses ne songea qu’à elle, ne se consacra qu’à elle et l’entoura de
toutes les attentions et de tous les égards possibles, même si le douloureux
aiguillon de la jalousie commençait déjà à vriller son cœur. Mais un événement
imprévu vint réveiller son intérêt pour le monde extérieur.
Il se trouvait en compagnie de
Cléopâtre sur les remparts du palais, profitant de la brise du soir, lorsqu’il
vit quelques navires surgir du large et mettre le cap sur son port. Il
s’agissait d’un grand vaisseau doté d’une figure de proue magnifique, en forme
de dauphin, et qui était escorté par quatre navires de guerre remplis d’archers
et d’hoplites.
Un garde se
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