Le Roman d'Alexandre le Grand
le
souverain quand le calme se fut un peu rétabli, recevra le commandement d’une
division de l’armée ainsi que le titre de « garde du corps » du roi.
C’est la première fois que des hommes aussi jeunes se voient attribuer des responsabilités
aussi grandes. Mais je sais que vous en serez dignes parce que je vous connais,
que j’ai grandi avec vous et que je vous ai vus combattre.
— Quand partirons-nous ?
demanda Lysimaque.
— Bientôt. Au printemps.
Préparez-vous donc, dans votre corps et dans votre esprit. Et si l’un de vous
devait avoir des regrets ou changer d’avis, qu’il ne craigne pas de me
l’avouer. J’aurai également besoin d’amis fiables sur le sol macédonien.
— Combien de soldats
conduirons-nous en Asie ? interrogea Ptolémée.
— Trente mille fantassins, cinq
mille cavaliers et tous les hommes que nous pourrons emmener sans trop dégarnir
notre pays. J’ignore encore jusqu’où nous pourrons nous fier à nos alliés
grecs. Quoi qu’il en soit, je les ai priés, eux aussi, de nous fournir un
contingent, mais je crois qu’il ne comptera pas plus de cinq mille hommes.
— Nous n’avons pas besoin
d’eux ! s’exclama Héphestion.
— Si, au contraire, répliqua
Alexandre. Ce sont de formidables combattants, et nous le savons tous. En
outre, cette guerre est une réponse aux invasions perses du territoire grec, à
la menace incessante que l’Asie fait peser sur l’Hellade. »
Eumène se leva. « Puis-je
intervenir ?
— Laissez parler le secrétaire
général ! s’écria Cratère en riant.
— Oui, laissez-le donc parler,
dit Alexandre. Je veux connaître son point de vue.
— Mon point de vue se résume en
quelques mots, Alexandre. En faisant de mon mieux dès maintenant et jusqu’au
jour de notre départ, les fonds que je parviendrai à réunir suffiront à peine à
entretenir l’armée pendant une durée d’un mois.
— Eumène ne pense qu’à
l’argent ! s’exclama Perdiccas.
— Et il a raison, répliqua
Alexandre. C’est pour cela que je le paie, il ne faut pas prendre sa réflexion
à la légère. Mais j’ai déjà prévu une solution. Les cités grecques d’Asie nous
aideront : c’est aussi pour leurs habitants que nous entreprenons cette
campagne. Et puis nous verrons.
— Nous verrons ? demanda
Eumène comme s’il tombait des nues.
— Tu n’as pas entendu
Alexandre ? répliqua Héphestion. Il a dit « nous verrons ». Ce
n’est pas assez clair ?
— Pas le moins du monde,
grommela Eumène. Si je dois organiser le ravitaillement de quarante mille
hommes et de cinq mille chevaux, il faut que je sache où trouver cet argent,
par Héraclès ! »
Alexandre posa la main sur son
épaule. « Nous le trouverons, Eumène, ne t’inquiète pas. Je t’assure que
nous le trouverons. Fais en sorte que tout soit prêt pour le départ. Il ne nous
reste plus beaucoup de temps.
« Mes amis, mille ans se sont
écoulés depuis que mon ancêtre Achille a mis pied en Asie pour combattre la
ville de Troie avec les autres Grecs, et nous réitérons à présent son
entreprise avec la certitude de la dépasser. Peut-être nous manquera-t-il la
plume d’Homère pour la raconter. Mais le courage ne nous fera certainement pas
défaut.
« Je suis certain que vous
saurez égaler les exploits des héros de l’Iliade. Nous en avons rêvé tant de
fois ensemble, n’est-ce pas ? Avez-vous oublié l’époque où nous nous
levions, le soir, après le passage de Léonidas dans notre dortoir, pour nous
raconter les aventures d’Achille, de Diomède et d’Ulysse, veillant tard dans la
nuit, jusqu’à ce que nos paupières se ferment sous l’effet de la
fatigue ? »
Le silence s’abattit sur le
sanctuaire : les souvenirs d’une enfance encore proche, la crainte subtile
qu’inspirait un avenir menaçant et inconnu, la conviction que la mort
chevauchait toujours aux côtés de la guerre, envahissaient le cœur des jeunes
gens.
Ils scrutaient le visage
d’Alexandre, scrutaient la couleur fuyante de ses yeux à la faible clarté des lanternes.
Et ils y lisaient une mystérieuse inquiétude, le désir brûlant d’une aventure
sans fin. Ils comprenaient que leur départ approchait, mais ils ignoraient tout
de leur retour.
Le roi alla vers Philotas :
« Je parlerai à ton père. Je voudrais que nous soyons seuls à partager le
souvenir de cette soirée. »
Philotas acquiesça : « Tu
as raison. Et je te suis
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