Le Roman d'Alexandre le Grand
remplit de courage.
— Oui, acquiesça Ptolémée.
Aristote dirait que la conviction, ou la prophétie, engendre l’événement.
— Mais en quoi le véritable
Palladion se distingue-t-il des autres statues ? demanda Alexandre.
— La véritable idole, déclara
le prêtre sur un ton solennel, est capable de fermer les yeux et de remuer sa
lance.
— Ce n’est pas difficile,
remarqua Ptolémée. N’importe lequel de nos ingénieurs militaires saurait
construire un engin de ce genre. »
Le prêtre le foudroya du regard et
secoua la tête. L’imitant, le souverain demanda : « Crois-tu en
quelque chose Ptolémée ?
— Oui, naturellement, répondit
le jeune homme en posant une main sur la garde de son épée. En ceci. »
Puis il appuya son autre main sur l’épaule d’Alexandre. « Et en l’amitié.
— Pourtant, insista le prêtre,
les objets que vous voyez sont vénérés depuis des temps immémoriaux entre ces
murs sacrés, et les tertres qui ponctuent le rivage renferment depuis toujours
les os d’Achille, de Patrocle et d’Ajax. »
On entendit alors un bruit de
pas : Callisthène les avait rejoints. Il souhaitait visiter, lui aussi, le
célèbre sanctuaire.
« Et toi, qu’en penses-tu,
Callisthène ? lui demanda Ptolémée en le prenant par le bras. Crois-tu
vraiment que cette armure appartient à Achille ? Et que la cithare exposée
sur cette colonne est celle de Pâris ? »
Il effleura les cordes, qui émirent
un son étouffé et désaccordé.
L’attention d’Alexandre semblait
s’être détournée de la conversation. Il contemplait la jeune Locrienne qui
remplissait les lanternes d’huile parfumée, il observait les formes parfaites
que laissait entrevoir son péplos léger, traversé par un rayon de lumière,
ainsi que ses yeux fuyants et dociles, remplis de mystère.
« Tout ceci n’a aucune
importance, vous le savez bien, répliqua Callisthène. Dans le temple des
Dioscures, à Sparte, on exhibe l’œuf qui aurait donné naissance aux frères
d’Hélène – les jumeaux. Je pense, quant à moi, qu’il s’agit plutôt d’un œuf
d’autruche, un oiseau libyen de la taille d’un cheval. De nombreux sanctuaires
regorgent de tels vestiges. L’important, c’est ce que les gens veulent croire.
Et les gens ont besoin de croire, ils ont besoin de rêver. » Tout en
parlant, il se tourna vers Alexandre.
Le roi s’approcha de la grande
panoplie de bronze, ornée d’étain et d’argent. Il effleura du bout des doigts
le bouclier sculpté à bandes bosselées, où l’on pouvait admirer les scènes
qu’Homère avait décrites, et le casque pourvu d’un triple cimier.
« Et comment cette armure
aurait-elle échoué ici ? demanda-t-il au prêtre.
— Après l’avoir volée à Ajax,
Ulysse fut pris de remords. Il la rapporta et la déposa devant sa tombe, comme
un présent votif, en priant les dieux de le ramener à Ithaque. Elle fut ainsi
recueillie et conservée dans ce sanctuaire. »
Alexandre alla vers le prêtre et lui
dit : « Sais-tu qui je suis ?
— Oui. Tu es Alexandre, le roi
des Macédoniens.
— Tu l’as dit. Et, du côté de
ma mère, je suis le descendant direct de Pyrrhos, le fils d’Achille, fondateur
de la dynastie épirote, et donc héritier d’Achille. Cette armure est à moi, je
la veux. »
Le prêtre blêmit : « Seigneur…
— Mais enfin ! ricana
Ptolémée. Nous devrions croire que cette cithare appartenait à Pâris, que ces
armes ont été fabriquées par le dieu Héphaïstos en personne et confiées à
Achille, alors que tu refuses d’admettre que notre roi est un descendant direct
du Péléide ?
— Oh ! non, balbutia le
prêtre. Le fait est qu’il s’agit d’objets sacrés qui ne peuvent…
— Des histoires !
intervint Perdiccas. Tu feras fabriquer des armes identiques. Personne ne verra
la différence. Elles reviennent à notre souverain car elles appartenaient à son
ancêtre… »
Et il écarta les bras comme pour
signifier qu’un héritage était un héritage. « Faites-les porter au
camp : qu’elles soient hissées comme un étendard devant l’armée avant
chaque bataille ! ordonna Alexandre. Et maintenant, rentrons. La visite
est terminée. »
Ils sortirent par petits groupes,
s’attardant encore pour jeter un dernier coup d’œil au sanctuaire, à son
incroyable fatras.
Le prêtre intercepta le regard
d’Alexandre dirigé vers la jeune fille qui disparaissait par une
Weitere Kostenlose Bücher